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De Zoroastre au
Néoplatonisme
I - Zoroastre et l'éthique des rois achéménides.
On ne peut pas comprendre
Platon et le platonisme sans un
retour à Zoroastre et à l'empire des Achéménides.
On estime actuellement que Zoroastre a vécu entre le 10ème et le 8ème
siècle
avant notre ère. Il transforma la religion des mages mazdéens fondée
sur la
dualité du Bien, Ahura Mazda et du Mal, Ahriman et dont les rites
consistaient
surtout en sacrifices d'animaux.
Paul du Breuil, a expliqué dans "Zarathustra
et la transfiguration
du monde", que ce que Zoroastre proposait était en fait une
révolution
qui rompait avec la croyance au rituel magique. Il instaura:
• un monisme spirituel absolu au-dessus des deux esprits confrontés,
• une eschatologie prodigieusement développée autour de la grande
bataille
cosmique du Bien et du Mal,
• l'élimination de tout rituel et de tout sacrifice autre que celui
intériorisé
de la sanctification de la pensée, des paroles et des actes,
• enfin une formulation du respect de la vie animale, en la personne
des bovins
comme prototype exemplaire.
On peut supposer que le renoncement à tout rituel en faveur de
l'intériorisation et de l'éthique indique une proximité avec le Yoga.
La
distinction de l'unité spirituelle non manifestée (puruja) et de la
dualité de
la manifestation (prakriti) rappelle aussi le Samkhya. Le zoroastrisme
et le
samkhya-yoga pourraient avoir leur racine traditionnelle dans la
spiritualité
des cités pré-aryennes de la vallée de l'Indus, qui communiquaient
probablement
avec l'Egypte de la haute antiquité.
Une spiritualité ésotérique et une éthique aussi élevées ne pouvaient
(comme en
Egypte) être réservées qu'à des élites. Aussi il se constitua un
syncrétisme
avec le mazdéisme, un mazdéisme réformé qui caractérisa la religion
populaire.
Les rois de la dynastie des achéménides étaient reconnus par tous pour
leur
éthique et leur tolérance. Cyrus le Grand lui-même, après la conquête
de
Babylone, où il libéra, entre autres, les juifs, fit écrire : «
Je n'ai
autorisé personne à malmener le peuple et détruire la ville. J'ai
ordonné que
toute maison reste indemne, que les biens de personne ne soient pillés.
J'ai
ordonné que quiconque reste libre dans l'adoration de ses dieux. J'ai
ordonné
que chacun soit libre dans sa pensée, son lieu de résidence, sa
religion et ses
déplacements, que personne ne doit persécuter autrui » .
L'empire des achéménides conquis par Cyrus II était immense. Il
s'étendit de
l'Asie centrale et de l'Indus jusqu'à la mer Egée et l'Ethiopie. Il
créa une
monnaie, fit construire des routes et organisa un service postal. La
sécurité
et liberté de circulation des personnes, des biens et des idées était
assurée.
L'empire inauguré par Cyrus le Grand ouvrit une époque unique de
prospérité et
favorisa une émulation des idées sans précédent et qui resta sans suite
comparable après sa destruction par le macédonien Alexandre.
C'est pendant cette époque que vécurent les plus grands philosophes
d'Occident
et d'Orient, qui influencèrent nos religions et philosophies, comme le
montre le
graphique.
Notre éducation historique reste partielle et empreinte du préjugé et
de la
jalousie des Grecs anciens pour leurs voisins et rivaux perses qu'ils
traitaient de barbares.
Je rends hommage ici à Paul du
Breuil qui par son grand
ouvrage "Zarathustra et la transfiguration
du monde",
a corrigé cette perception et mis en évidence l'importance méconnue du
zoroastrisme et de l'empire achéménide sur nos religions et
philosophies. Cet
ouvrage de qualité universitaire est malheureusement indisponible
actuellement.
Il mériterait une réédition.
II - L' AVESTA, livre sacré du zoroastrisme
L'Avesta est l'ensemble des textes
sacrés de la religion mazdéenne
et forme le livre sacré des zoroastriens.
La partie la plus ancienne est constituée d'hymnes, les Gāthās, censés
avoir
été composés par Zoroastre lui-même. Il y apparaît nettement comme un
prêtre.
Ahura Mazdā lui aurait donné la mission de rénover l'ancienne religion,
s'affirmant comme le seul dieu du Bien, incarnation de la lumière, de
la vie et
de la vérité.
http://lexicorient.com/e.o/ill/zarathustra01.jpg
http://www.persevoyages.com/Images/photos/symbole%20Ahoura%20Mazda.JPG
Les Amesha Spentas, les saints
immortels de Zoroastre, représentent
des apects du Bien Suprême, Ahura Mazda, ce sont avant tout les vertus
essentielles de l'éthique zoroastrienne :
- Vohou
rnano : Bon esprit, bonne volonté, bon sens.
- Asha
vahista : Vérité, justice, pureté.
- Kshatra
vaïrya : Ordre, harmonie, règne divin.
- Spenta
armaïti : Humilité, douceur, docilité.
- Haourvatat :
Santé, vigueur, prospérité.
- Ameretat :
Longue vie, immortalité, vie éternelle.
Les Amesha Spentas appartenaient probablement au panthéon des anciens
dieux
perses antérieur à la naissance de Zarathoustra. Selon une théorie,
bien que le
réformateur religieux ait dénoncé les anciens dieux, il aurait assimilé
les
Amesha Spentas dans ses enseignements en les considérant comme
différents
aspects d'Ahura Mazda, le seul et unique esprit, en perpétuelle
opposition avec
l'esprit du mal, Ahriman.
Les Amesha Spentas sont aussi des idées abstraites, des catégories de
la
connaissance, comparables aux éléments, qui, par analogie, pouvaient
représenter les différents aspects cycliques de la nature selon ce
tableau
(site http://mythologica.fr/perse/amesha.htm)
III – L'Unité selon Socrate et Platon
Les premiers
philosophes grecs, dont le discours rationnel se distinguait de la
mythologie, étaient ceux qu'on appelle présocratiques. On dit que
c'étaient des
philosophes de la nature. Ils cherchaient en effet à expliquer
l'univers sans
tenir compte des mythologies populaires et bucoliques d'Homère. Leurs
philosophies étaient des cosmologies rationnelles.
PHILOSOPHES PRESOCRATIQUES
Pythagore (~ -580 à -495) était
le premier d'entre eux. La plus ancienne trace
écrite du fameux théorème qui lui est attribué est une tablette
babylonienne
qui date de plus de 1000 ans avant lui. Ceci indique
suffisamment que les
philosophes présocratiques tenaient leurs connaissances de
civilisations
antérieures, mésopotamiennes, indiennes et égyptiennes. C'est à la
faveur de la
libre circulation des idées, de l'Orient vers l'Europe, sous la
dynastie perse
des achéménides, que la culture est parvenue en Grèce. Les Grecs ne
sont pas à
l'origine de l'histoire, de la philosophie et de la civilisation. Ils
n'ont pas
tout inventé, mais ils ont beaucoup emprunté et transformé.
Parménide (fin
VIe à milieu Ve siècle)
concevait l'univers comme un Etre.
Parménide est
donc le fondateur de l'ontologie, de la science de l'être. Parménide
défendait
l'Unité de l'Etre. Pour lui, ce qui est n'admet pas de
contradiction.
L'être est un, complet et n'a pas de parties. De même le mouvement est
impossible, car il suppose que l'Etre apparaisse là où il n'était pas
auparavant
et disparaisse là où il se trouvait.
Héraclite
(-544 à -504) au contraire défendait le Devenir cyclique,
la transformation harmonieuse de l'univers, obéissant au logos,
aux
principes ou lois naturels, invisibles mais intelligibles.
Contrairement à
Parménide, il déclare : « Tout ce qui existe n'existe
que grâce aux
contraires. C'est la tension entre les contraires qui engendre la
réalité. »
SOCRATE ET SES DISCICPLES
Socrate (-470 à -399) n'a rien écrit. Ce que
nous savons de lui vient des
témoignages de ses élèves Platon et Xénophon. Il est difficile de
dissocier
Socrate et Platon. Dans les dialogues que Platon attribuait à Socrate,
celui-ci
disait qu'il ne savait rien. Il se comportait humblement comme les
sages
orientaux. Comme Zoroastre, qu'il ne pouvait pas ignorer, il plaçait
sans doute
l'Unité ou Vérité suprême au-delà des dualités, du Bien et du Mal, de
l'être ou
du non-être. Comme Lao tsé, son contemporain, il pensait sans doute
que "celui
qui sait ne parle pas et celui qui parle ne sait pas".
Paul du Breuil écrivit: "Avant Socrate, Zarathustra
réalisa donc
la transition décisive entre la pensée naturaliste et la nature de
dieux qui ne
valaient pas mieux que les hommes, vers ce que les Grecs ont appelé
l'éthique,
portant la réflexion humaine au plan d'une pensée universelle qui tente
d'harmoniser nos actes avec le Bien suprême".
En effet, tous les dialogues de
Socrate consistaient à
amener l'interlocuteur à chercher lui-même les réponses aux questions.
C'était
un art qu'il appelait maïeutique. C'était aussi un art de la rhétorique
qui
s'occupait des problèmes de la société, de l'éthique et de la
république. La
philosophie de Socrate conduisit des sciences naturelles vers les
sciences
humaines. Elle est à l'origine de l'humanisme.
Platon (-428 à -348) est surtout
connu– et critiqué – pour sa théorie des Formes ou
théorie des idées. Selon Paul du Breuil,
ces Formes sont
d'inspiration zoroastrienne. Elles se situent sur le plan des principes
premiers, comme les vertus des Amesha
Spenta, qui
n'est pas observable mais qui est à l'origine du monde sensible, de son
devenir. Par formes ou idées, Platon ne comprenait pas des choses de la
réalité
observable mais des principes universels, intemporels, qui ont une
existence
indépendante des limites d'espace et de temps. Elles ne sont pas
perceptibles
par les sens mais compréhensibles par l'intelligence. Elles ne sont pas
seulement des concepts élaborés par l'intelligence. Elles constituent
au
contraire le cadre réel qui guide l'intelligence sur un plan dépassant
le
sensible.
La théorie des formes ou idées de Platon implique donc des niveaux
de
la réalité et de la connaissance. Cette hiérarchie
de la connaissance
est expliquée dans La République VII par
son allégorie de la
caverne:
- Au fond de
la caverne, les prisonniers enchaînés, le dos à la lumière, ne voient
que des ombres sur la paroi qu'ils prennent pour la seule réalité.
Elles symbolisent la perception limitée des sens.
- Si l'un
d'entre eux, libéré des chaînes symbolisant les sens, s'élève en
direction de la sortie, il perçoit à l'étage supérieur les formes
mouvantes, éclairées par la lumière, qui sont la cause des ombres
projetées sur la paroi de la caverne. Il comprendra ainsi par
la raison les ombres et
leurs mouvements.
- Enfin si on
le faisait monter à la lumière, hors de la caverne, il serait
complètement ébloui par la lumière qui symbolise l'Esprit ou Unité suprême.
Il serait incapable de faire des distinctions.
Les formes de Platon, éclairées par l'esprit, sont la réalité
cachée aux
sens mais compréhensibles par la raison. Ce sont les principes ou lois
immuables qui organisent l'univers, la connaissance et les relations
humaines.
Les idées de Platon ne sont pas
des classes, des genres ou espèces d'objets
observables, comme les concevait Aristote, mais des principes ou
repères
abstraits qui existent par paires de contraires.
Dans Phédon, la complémentarité des
contraires est clairement
expliquée par la voix de Socrate, à propos de l'alternance de
la vie et
de la mort prochaine.
"Or ce principe, si tu
veux le comprendre plus
facilement, ne l'examine pas seulement à propos des hommes, mais aussi
à propos
de tous les animaux, de toutes les plantes et, plus généralement, de
toutes les
choses qui ont un devenir. A propos de toutes, essayons de voir si
c'est ainsi,
et pas autrement, qu'elles adviennent toutes: les choses contraires à
partir de
rien d'autre que de leurs contraires – cela vaut pour tout ce qui se
trouve
entrer dans une relation de ce genre: par exemple, le beau, je pense,
est le contraire
du laid, le juste de l'injuste, et il y a des milliers d'exemples
semblables.
Dans Phédon Platon précise cette logique.
Le dialogue y concerne
le plaisir ou la douleur et aussi l'un ou le multiple à propos de
l'individu
qui est permanent par rapport à ses aspects multiples qui changent.
Mais Platon
(par la parole de Socrate) évoque un passage continu entre
les extrêmes
contraires. Prenant comme exemple la musique avec ses tonalités
comprises entre
les aiguës et les graves, il explique que l'harmonie réelle, qui
procure le
plaisir, est un troisième entre les extrêmes. Il désigne ainsi un
rapport (ratio)
entre les extrêmes, le juste milieu ou le tiers inclus. Ses
explications
indiquent que les idées contradictoires sont des principes permanents,
et que
les aspects sensibles changeants, soumis au devenir selon les points de
vue, le
temps ou l'espace, sont des rapports variables entre les extrêmes.
Présentées comme des principes permanents et universels, les formes ou
idées de
Platon sont la base non seulement d'une logique decomplémentarité des
contraires et du tiers inclus mais
aussi la base d'une logique
de comparaison et interprétation par analogie des
aspects du
monde sensible.
Le vingtième siècle a vu resurgir la logique antagoniste de Platon par
les
paradoxes et l'inséparabilité de la mécanique quantique, et l'analogie
par les
homologies systémiques de von Bertalanffy ou les homothéties fractales
de
Mandelbrodt.
IV – La Division suivant Aristote
Il est évident que parmi les
diverses philosophies de la
Grèce antique, c'est surtout l'ontologie et la logique d'Aristote qui
ont
marqué la pensée et fait le succès de la civilisation occidentale. Des
exposés
complets de la vie et de l'œuvre d'Aristote peuvent être trouvés dans
toute
encyclopédie. Mais la lumière unilatérale projetée sur cette
philosophie laisse
à l'ombre une face sombre qu'il s'agit de mettre en évidence du point
de vue du
platonisme, du zoroastrisme et des sagesses traditionnelles orientales
en
général.
Rappel biographique
Aristote
(-384 à -322), né à Stagire en Macédoine, fut pendant plus de
vingt ans disciple de
l'Académie de Platon à Athènes. Après la mort de Platon, la direction
de
l'Académie lui fut refusée sous prétexte qu'il était d'origine
macédonienne. Il
dut fuir Athènes pour des raisons politiques, vers l'Asie Mineure
d'abord avant
de retourner en Macédoine sous Philippe, où il fut pendant deux ou
trois ans
précepteur du prince héritier Alexandre. Il prit alors une
distance
critique vis-à-vis des thèses de son maître Platon. Lorsqu'il put
revenir à
Athènes, après la mort d'Alexandre, l'Académie lui fut refusée une
seconde fois
et il fonda sa propre école, le Lycée.
Le fameux Lycée n'était d'abord qu'un terrain loué, mais non
acheté.
Aristote, appelé le Stagirite pour marquer son origine
macédonienne,
était considéré comme métèque, il n'avait pas le droit à la propriété à
Athènes. Le mot « Lycée » vient de ce que le
lieu est voisin
d'un sanctuaire dédié à Apollon Lycien. C'est ainsi que naquit l'école
péripatéticienne: le Lycée était un lieu de promenade (peripatos),
où le
maître et les disciples philosophaient en marchant. Les aristotéliciens
ou
péripatéticiens sont « ceux qui se promènent près du Lycée".
Aristote a donc eu une vie agitée et ses déceptions expliquent la
radicalisation de sa philosophie confrontée aux thèses de son maître
Platon,
mais ne l'excusent pas.
Les adversaires d'Aristote ne se privèrent pas de l'accuser d'avoir
trahi son
maître, en exagérant à leur tour. Ainsi Diogène Laërce dit: "Il
quitta
Platon du vivant de celui-ci, ce qui fit dire à Platon qu'Aristote
l'avait
frappé du talon comme un poulain qui donne une ruade à sa mère".
La dispute entre aristotéliciens et platoniciens conduisit à une
division à la
fois, idéologique, scientifique, philosophique et éthique qui devait se
répercuter pendant des siècles et millénaires en Europe, prenant
parfois le nom
de "dispute des universaux". La controverse initiale finit en
Occident par l'adoption exclusive de la philosophie et logique
d'Aristote.
Celui-ci passe parfois pour l'inventeur de la logique, comme s'il n'y
avait pas
eu de logique avant lui.
Aristote participa aussi, comme précepteur aux côtés d'Alexandre, à une
rupture
définitive entre l'Occident et l'Orient. Cette division et la
domination
unilatérale de la pensée positiviste d'origine aristotélicienne laisse
des
séquelles qui agitent aujourd'hui plus que jamais, la géopolitique
mondiale.
Division ontologique entre Etre et Devenir
Aristote conçut l'univers comme un être, à la manière de Parménide,
mais avec
quelques aménagements d'origine platonicienne. Il distingua la "substance",
fondement de l'être, de ses aspects changeants appelés "accidents".
Il expliqua le devenir par un "moteur immobile", par contre il
critiqua déjà du vivant de Platon l'existence indépendante de ses
Formes ou
principes qu'il méconnaissait comme rigides et inflexibles. Au
contraire de
Platon dont les idées intelligibles se
fondent sur des
principes universels, Aristote les considérait comme des catégories
opérationnelles produites par l'esprit humain. Il
reconnaissait la matière
sensible comme substrat de l'être.
Division de la logique entre tiers exclu ou tiers inclus
Pour Aristote, ce qui existe est ce qui est observé. La seule source de
connaissance est l'observation par les sens. Les perceptions
sensorielles sont
univoques: ce qui est A n'est pas non-A (contradiction exclue) et ne
peut pas
être autre chose que A (tiers exclu).
- Il formula
par conséquent une logique fondée sur le principe
de contradiction exclue et du tiers exclu. Une
chose ne peut avoir en même temps, au même endroit et du même point de
vue une propriété et la propriété contraire.
- Il définit
et classe les observations rigoureusement en
catégories, espèces ou genres selon la méthode d'induction.
- Il inventa
le syllogisme qui n'est rien
d'autre que l'attribution de ses catégories aux objets observés et dont
l'utilité se limite aux argumentations de la rhétorique.
Aristote pose le principe de non-contradiction et le syllogisme comme
une
nécessité absolue et l'étend, au-delà de l'objet d'observation, à tout
contexte
et à toute proposition. Cette logique exclut l'alternance entre états
contraires, le rapport harmonieux entre qualités opposées et entre
niveaux de
la réalité qui caractérise la logique unificatrice des idées de Platon.
La logique aristotélicienne ignore surtout la différence de nature
entre les
objets de connaissance sensorielle auxquels
elle est
applicable et les objets intelligibles par
le raisonnement,
les idées abstraites de Platon, auxquels elle n'est pas applicable.
Division de la science en catégories
Aristote, en réduisant la connaissance au niveau de l'observation
sensorielle,
réduisit la philosophie au seul savoir. Il divisa sa philosophie en
trois
parties: la philosophie théorétique, la philosophie pratique et la
philosophie
poïétique. La partie théorétique se divise à son tour en physique,
mathématique
et théologie ; la philosophie pratique; en économique, éthique,
politique et
rhétorique; la poïétique comprend toutes les activités qui produisent
une œuvre.(wikipedia)
Division de la philosophie, sa réduction au savoir.
En réduisant la connaissance du réel à la seule observation, Aristote
opposa
aux valeurs et principes universels et symboliques de Platon un savoir
précis.
Cette précision fondée sur des définitions (=limitations),
servait l'argumentation rigoureuse des dialogues sophistes mais
desservait
l'harmonie subtile du sens éthique
ou esthétique. Ainsi, il
inversa le sens même de la philosophie.
Selon Paul du Breuil: " L'étymologie première du mot philosophie
entendait
bien le sens de philo (aimant) et sophia (sagesse)
contrairement à la déviation au seul sens intellectuel de sophia
(aimant) mais
de sophein = savoir. L'amoureux de
la sagesse (sophia/mazdah)
n'a plus rien de commun avec la démarche purement cérébrale du
philosophe
péripatéticien." – Il ajouta: - "La "trahison" d'Aristote
envers le Maître de l'Académie prend un relief étonnant. Consacrée
par
les sophistes et l'école des péripatéticiens, elle opéra une
tragique déspiritualisation par
l'usage profane d'un mot originellement pieux, pour désigner finalement
toute
dialectique, fût-elle matérialiste".
Division de l'éthique, sa réduction au bonheur
individuel.
La division entre sagesse et savoir conduisit à une division de
l'éthique:
La philosophie de Platon, recherche de la sagesse inspirée du
zoroastrisme,
admettait l'existence d'un Bien suprême et concevait la morale comme un
apprentissage
de la vertu en fonction de notre devenir spirituel.
La conception de la connaissance, reprise par Aristote en partie aux
physiciens
ioniens, réduisit la philosophie à l'observation du
monde matériel.
Son ontologie et sa logique de non-contradiction est applicable au seul
niveau
empirique des êtres matériels.
Pour Aristote, le Bien suprême est le
bonheur, mais il est
au-delà des biens particuliers qui ne sont que des moyens. Selon lui,
le
bonheur n'est pas dans la possession passive mais dans l'usage actif,
par
exemple intellectuel ou oratoire. L'homme vertueux est l'homme prudent
qui sait
appliquer, selon sa raison, les principes aux situations particulières.
Quant à
la sagesse elle est ce « qui connaît en vue de quelle
fin les choses
sont faites, fin qui est, dans chaque être son bien et du souverain
Bien dans
l'ensemble de la nature ».
Cette éthique appartint à l'art oratoire du sophiste, puisqu'Aristote
refusait
les principes universels de son maître Platon. En pratique, il ne
reconnaissait
comme bien que le bonheur individuel opportuniste. Il
réduisait l'éthique
au rapport de l'homme individuel avec les autres hommes et les autres
êtres et
cela en fonction de sa hiérarchie
et de ses catégories.
En poussant cette logique à l'extrême, sa philosophie conduisit au
positivisme
matérialiste, à l'égocentrisme et à l'intolérance. Cela se révèle dans
ses
déclarations.
Paul du Breuil, rappelant la justice, la tolérance et le sens aigu de
la
responsabilité dans la Perse sous influence zoroastrienne, dit à propos
d'Aristote: "Sa philosophie va vite couvrir l'orgueil racial et
l'exploitation de l'homme par l'homme de l'esclavage " et il le cita:
"Il est donc évident qu'il y a par nature des gens qui
sont les uns
libres, les autres esclaves, et pour ceux-ci la condition servile est à
la fois
avantageuse et juste."
"Les Grecs se considèrent comme nobles non seulement
chez eux mais
partout, tandis que les Barbares ne le seraient que dans leur pays: il
y aurait
ainsi une forme absolue de noblesse et de liberté et une autre
simplement
relative" (Politique A.V..11;VI.7.)
A propos du statut de la femme sous Zarathoustra il ajouta: "Cette
liberté
féminine en remontrait au statut domestique des femmes grecques
qu'Aristote
assimilait à celui de l'esclave, contrairement à Platon qui, dans
République,
voulait en faire l'égale de l'homme".
Quant aux animaux, envers lesquels l'éthique zoroastrienne (comme celle
de Jaïn
et de Bouddha) accordait autant de respect qu'aux hommes, Aristote dit:
"L"animal existe pour l'homme, si la nature ne fait rien
d'imparfait et d'inutile, elle a donc tout fait pour l'homme."
Division culturelle entre Occident et Orient
L'intolérance de la logique d'Aristote participa à la division entre
l'Europe
et l'Orient par la campagne militaire désastreuse de son élève, appelé
"Alexandre le Grand" parce qu'il détruisit l'empire perse, et qu'il
accompagna peut-être en Syrie et Egypte.
Paul de Breuil rappela qu'Aristote, trahissant son maître, avait
rejoint le
camp du macédonien Alexandre:
"Aristote adopta une pensée rigide, pendant du totalitarisme
macédonien,
et son formalisme dogmatique profita à la rigueur des concepts
péripatéticiens.
Sa philosophie va vite couvrir d'orgueil racial et l'exploitation de
l'homme
par l'homme de l'esclavage. La pensée formelle d'Aristote trouva son
prolongement fidèle dans la façon dont Alexandre et ses troupes
allaient se
comporter en Asie "barbare", laquelle
finalement
allait l'engloutir."
"La logique formelle d'Aristote porte l'empreinte de la politique
totalitaire macédonienne. N'avait-il pas donné pour conseil à
son élève
Alexandre;"sois hégémon pour les Grecs mais despote pour les
Barbares"?"
Ainsi la révolte macédonienne et l'empire éphémère d'Alexandre
coïncident avec
une rupture culturelle définitive de la Grèce et de l'Europe avec tout
ce qui
venait de Perse et d'Orient, une rupture donc aussi avec la lignée
ésotérique
de la grande Tradition orientale et avec les sciences qui s'y
rattachaient. La
fin de la dynastie des rois achéménides connus pour leur tolérance,
fondée sur
une éthique introduite par Zoroastre, devait préparer le terrain pour
l'expansion de Rome et de son esclavagisme.
V - Le néoplatonisme du IIIème siècle
L’époque hellénistique est la
période qui suivit la
destruction de l'empire achéménide et la conquête d’une partie du monde
méditerranéen et de l’Asie par Alexandre le Grand. Elle se prolongea
jusqu’à la
domination romaine. Alexandrie devint le centre culturel des idées en
provenance de Grèce, de Perse, de Mésopotamie, d'Egypte et d'Inde, même
sous
les Romains. La bibliothèque d'Alexandrie recueillit le savoir de toute
provenance mais fut détruite successivement par les Romains, les
Chrétiens, les
Arabes et les Turcs, toujours sous prétextes religieux liés au pouvoir
politique.
Parmi les nombreux courants philosophiques, le néo-platonisme, fondé
par
Ammonios Saccas et attribué surtout à Plotin, a tenu un rôle important
dans
l'histoire de la philosophie par sa cohérence logique.
AMMONIOS SACCAS
Ammonios Saccas
(début IIIe siècle) était l'inspirateur du
néoplatonisme. Comme Socrate, il n'a
rien écrit. Ce que l'on sait de lui, vient de son disciple Plotin
On dit qu'il était d'origine modeste, né de parents chrétiens à
Alexandrie,
mais qu'il se serait tourné vers le "paganisme" après une
longue période d'études et de méditation. Il accepta des disciples dans
une
école de philosophie à Alexandrie, à la condition qu'ils gardent ses
enseignements secrets, à la manière des pythagoriciens. Sa philosophie
doit
essentiellement être déduite des écrits postérieurs de Plotin.
Ses origines sont controversées. Selon ses détracteurs chrétiens son
nom Saccas
indiquerait qu'il était simple portefaix (porteur de sacs). Mais des
études
récentes indiquent que le nom Saccas désignerait les Sakyas, clan de
l'Inde du
Nord dont Bouddha était originaire, et qu'il pourrait être de seconde
génération d'immigrés venus d'Inde du nord. On peut se demander aussi
si
Ammonius ne se référait pas au Dieu suprême égyptien Amon.
Il est certain en tout cas que sa philosophie était un éclectisme, ce
qui veut
dire qu'il cherchait de quels principes communs dérivaient toutes les
philosophies. Il n'était sans doute attaché à aucune doctrine
particulière et
Plotin affirmait qu'il pouvait concilier les philosophies d'Aristote et
de
Platon.
Il semble en effet que Ammonios Saccas était un des ce sages humbles,
comme on
en trouvait aux Indes, pour qui toutes les religions ou philosophies
ont un
même noyau de principes communs, et qui encourageaient leurs élèves à
le
découvrir au sein de leur propre culture. Ainsi il aurait encouragé
Plotin à
approfondir sa propre culture grecque. C'est donc bien Plotin qui, près
de 7
siècles après Platon, fonda le néo-platonisme.
PLOTIN
Plotin
(205 - 270), est né de parents romains hellénisés près d'Assiout, en
Haute-Égypte. Il vint à Alexandrie pour étudier la philosophie. Après
avoir
écouté les philosophes les plus réputés, il s'attacha à l'âge de 28 ans
à
Ammonius Saccas, dont il suivit les leçons pendant 11 ans. En 244 il
accompagna
une expédition de l'empereur Gordien contre les Perses, espérant puiser
à sa
source la philosophie des Orientaux. Mais Gordien fut défait et tué par
les
Perses et Plotin dut se réfugier à Antioche, puis à Rome. Il y fonda en
246 son
école de philosophie néo-platonicienne. Ce n'était pas une institution
mais une
association libre de disciples autour de Plotin dont l'enseignement
était
essentiellement oral. Les textes qu'il écrivit furent collectionnés et
publiés
par son principal élève, Porphyre, sous la forme des Ennéades. La fin
de sa vie
fut triste; il tomba dans le mysticisme et mourut, probablement de
tuberculose,
à Naples en 270.
Plotin a fondé son éclectisme en prenant pour base la doctrine de
Platon. Il
sut concilier les principes de Platon avec d'autres philosophies, dont
celle
d'Aristote.
Les Ennéades
Plotin a rédigé de courts traités à partir de 254 jusqu'à sa mort en
270. À
chaque fois qu'il avait terminé un texte, Plotin le faisait parvenir à
Porphyre
pour que celui-ci le corrige et y apporte toutes les modifications de
style
nécessaires.
En 301 Porphyre édita tous les écrits de son maître dans un
même volume,
en même temps que sa biographie de Plotin. Suivant ses propres
classifications
pythagoriciennes, Porphyre les a ordonnés en six groupes de 9, leur
donnant le
nom d'Ennéades. Cette collection d'écrits contient la totalité de la
philosophie de Plotin ; elle constitue sa seule et unique œuvre, et
elle nous
est parvenue en intégralité.
Les trois hypostases
Plotin est connu avant tout pour sa compréhension du monde qui fait
intervenir
trois « hypostases» qui signifient trois formes ou principes
fondamentaux
d'existence du monde
- L'Un
- L'Intelligence
- L'Âme
Cette hiérarchie d'existence et de connaissance vient directement de
l'allégorie de la caverne de Platon.
Les trois hypostases forment ensemble, par leurs relations
logiques,
toutes les formes de la réalité créée. C'est par la hiérarchie et le
retour
éternel à l'origine que l'unité de la trilogie est comprise.
Le Un, au-delà de tout attribut, y compris l'être et non-être, est à
l'origine
du monde non pas par une création volontaire, intentionnelle
ou autre,
puisqu'aucune activité ne peut lu être attribuée (conformément au
mahzda du
zoroastrisme ou à purusas du Samkhya).
L'émanation
Le monde émane de l'Un dans un mouvement qu'on appelle la « procession
». La
nature de l'Un, qui est le premier principe selon Plotin, est telle que
de lui
émane nécessairement le reste du monde. Il n'y a aucune intention ou
volonté
première, contrairement à la création selon la Genèse judéo-chrétienne.
Le Un est le principe dont émane l'intelligence, qui est le principe de
l'Âme,
qui est à son tour principe du monde sensible. Ce dernier n'est le
principe de
rien d 'autre.
L'Un est absolument transcendant, mais il est aussi immanent en tout.
Il n'est
nulle part, mais il est partout. Il ne peut être décrit que par la
négation de
tout attribut, mais tout émane de lui. L'émanation n'est pas un acte de
création mais une interdépendance trinitaire.
PORPHYRE DE TYR
Porphyre de Tyr (234
- 270). Né en Phénicie (Liban) en 234, Porphyre se rendit à
Athènes en 254 suivre
des cours de rhétorique. Il fut envoyé en 263 à Rome, chez
Plotin qui le
chargea de mettre en ordre ses écrits. En 268, souffrant de dépression,
il
s'installa en Sicile tout en continuant à s'occuper des textes de
Plotin.
Lorsque celui-ci mourut en 270, Prorphyre lui succéda comme scolarque
de
l'école néoplatonicienne.
Oeuvre
A part l'édition des oeuvres de Plotin, Porphyre apporta sa propre
oeuvre sous
forme d'un syncrétisme du platonisme avec le pythagorisme et
l'aristotélisme.
Il rédigea un ouvrage intitulé "Contre les chrétiens",
qui sera brûlé en 448 sur ordre des empereurs Valentinien III et
Théodose II.
Il affirmait en effet que les dieux des religions, y compris le dieu
personnalisé des chrétiens, sont des symboles de pouvoirs ou vertus
universels
(virtus en latin signifie pouvoir). Comme les Idées de Platon (ou comme
les
archanges Amesha Spenta zoroastriens) ils appartiennent à l'hypostase
de
l'intellect, mais ne peuvent pas représenter le Un
suprême.
Il rédigea vers 268 son célèbre ouvrage de logique, Isagogè,
dont la logique fera autorité pendant tout le Moyen Âge. Sous influence
pythagoricienne il y conçut un arbre de vie, essayant d'associer la
hiérarchie
des principes néoplatoniciens et l'antagonisme d'idées contraires avec
les
catégories aristotéliciennes des genres et espèces.
Querelle des universaux
Dans son Isagogè Porphyre
pose les fondements de
la querelle des universaux qui divisera les philosophes médiévaux. - Il
écrivit
:
« Tout d'abord, en ce
qui concerne les genres et les
espèces, la question est de savoir si ce sont des réalités subsistantes
en
elles-mêmes ou seulement de simples conceptions de l'esprit, et, en
admettant
que ce soient des réalités substantielles, s'ils sont
corporels ou
incorporels, si, enfin, ils sont séparés ou ne subsistent que dans les
choses
sensibles et d'après elles. J'éviterai d'en parler. C'est là un
problème très
profond et qui exige une recherche toute différente et plus étendue. »
Par souci de syncrétisme, Porphyre évita ainsi de prendre parti entre
Aristote
et Platon. Ce qu'il évita, c'est de faire la différence entre d'une
part
les catégories d'Aristote (genres
et espèces) obtenues de
l'observation des êtres sensibles par
la méthode d'induction,
et d'autre part les Idées ouPrincipes de
Platon (bien/mal,
juste/injuste) qui se présentent toujours et naturellement par paires
contraires parce qu'ils sont des principes duDevenir
intelligible, comme
cela est clairement expliqué dans Phédon.
La hiérarchie des hypostases de Plotin indique pourtant bien que les
objets
observable d'Aristote et ses catégories ne sont pas sur le même plan
que les
principes universels de Platon auxquels elles sont subordonnées. Ce
malentendu,
de vouloir mettre l'observable et l'intelligible sur le même plan, est
à
l'origine de la querelle des universaux qui agita le Moyen-Age et n'est
toujours pas compris de nos jours.
Le néoplatonisme, avec surtout la triade de Plotin et l'arbre de vie de
Porphyre, aura une influence profonde sur les théologiens chrétiens du
Moyen-Age, jusqu'au XIIIème siècle,
lorsque l'aristotélisme
redécouvert éclipsa le platonisme, du moins dans l'Eglise de Rome.
VI – Le néoplatonisme chrétien
L'ésotérisme des
origines chrétiennes.
Dans "Zarathoustra
et la transfiguration du
monde", Paul du Breuil, constate que le judaïsme a subi
l'influence
du zoroastrisme achéménide lors du retour de l'exil
babylonien et de la
construction du nouveau Temple, sous l'empire achéménide. Ce
changement, la
Nouvelle Alliance, se manifeste par les accents lyriques nouveaux des
psaumes
et proverbes, et par une "dématérialisation" des formes cultuelles.
La spiritualisation progressive conduira à l'ésotérisme des esséniens.
Une
parenté entre la spiritualité essénienne et celle de Jésus et plus
encore de
Jean Baptiste a été relevée par plusieurs auteurs et a été plutôt
confirmée par
la découverte des nouveaux manuscrits de la Mer Morte.
Mais Jésus et ses apôtres ont pu subir l'influence d'autres cultures. A
part la
morale qui rappelle celle du zoroastrisme ou du bouddhisme,
les
symbolismes et le mystère même de la mort et résurrection du Christ
évoquent
l'ésotérisme égyptien et la légende d'Osiris. Dans "Le
retour du
Phénix", Marthe de Chambrun Ruspoli rappelle l'influence non
négligeable de l'hermétisme, toujours vivant au premier siècle, sur les
croyances des Grecs et des Juifs chrétiens d'Alexandrie. L'auteur
explique que
dans l'ancienne Egypte, l'initié devenait "détenteur du secret", ce
qui se traduisait par le mot HRY SST (littéralement "Celui qui est sur
le
secret"). Ce terme était symbolisé par la hiéroglyphe Apouat: le chien
de
garde étendu sur la tombe. Elle fait valoir que ce n'est que
postérieurement
que le terme grec christos =
enduit, prit le sens de
"l'Oint du Seigneur".
Le rationalisme grec dans l'Eglise d'Alexandrie.
Quoiqu'il en soit du mystère de
la résurrection de Jésus et
des ésotérismes qui l'entourèrent, c'est dans le centre multiculturel
d'Alexandrie que s'élaborèrent les premières doctrines chrétiennes
fondées sur
le rationalisme et l'humanisme grec de Platon, qui était lui-même
inspiré du
zoroastrisme.
Alexandrie, avec Babylone, abrita les premiers Judéo-chrétiens
égyptiens. La
chrétienté était alors divisée en trois grands patriarcats: Rome,
Alexandrie et
Antioche.
Sous Constantin, la capitale de l'Empire romain christianisé fut
déplacée de
Rome à Byzance et rebaptisée Constantinople en 330. L'évêque
de la ville
fut élevé au rang de patriarche et, lors du premier concile de
Constantinople
en 381, il obtint la prééminence d'honneur après celui de Rome.
Après le concile de Nicée (325), qui devait définir l'orthodoxie de la
foi
suite à la controverse soulevée par Arius sur la nature du Christ, cinq
Églises
constituaient la Pentarchie originelle, dans l'ordre de la prééminence
d'honneur: les Églises de Rome, de Constantinople, d'Alexandrie,
d'Antioche et
de Jérusalem.
Clément d'Alexandrie, né à
Athènes vers 150 et mort en Asie
Mineure vers 220, était un lettré grec. Converti au christianisme,
Clément
rencontra à Alexandrie le mouvement intellectuel des éclectiques de
Pantène,
qui dirigeait l'Ecole théologique d'Alexandrie (la Didascalée). Lorsque
celui-ci fut envoyé en mission aux Indes par Demetrius Ier,
patriarche
d'Alexandrie, Clément fut nommé à la direction de cette école.
Il chercha à harmoniser la pensée grecque et le christianisme. Il se
familiarisa avec tous les systèmes de philosophie de son temps. Formé à
la
pensée de Socrate et Platon, il voyait dans le Christianisme l'idéal de
morale
et de raison de l'humanisme grec.
En 215, bien que très jeune, Origène succéda à Clément d'Alexandrie à
la tête
de la Didascalée.
Origène est né à
Alexandrie v. 185 et mort à Tyr v. 253. Il
est l'un des Pères de l'Église. Son influence fut décisive, aussi bien
dans la
théologie grecque que latine. Contemporain du néoplatonicien Plotin, il
avait
suivi comme lui les cours d'Ammonios Saccas. La grande innovation
apportée par
Origène est d'avoir structuré la pensée théologique en un système
logique et
cohérent. Proche du platonisme comme son maître et prédécesseur
Clément, il est
l'auteur du schéma corps-âme-esprit, et le grand chef de file de la
gnose
chrétienne.
Il est peu connu dans la chrétienté occidentale en raison d'accusations
d'hérésie qui accompagnèrent les controverses dogmatiques à l'origine
de
nombreux schismes. Il tient cependant dans les Eglises orthodoxes
orientales le
rôle qu'Augustin tient dans l'Eglise catholique.
La constitution de l'Eglise de Rome.
Les
débuts de la christianisation de l'empire
romain restent assez obscurs et controversés. Selon les thèses
historiques et
archéologiques récentes, le christianisme au IIIe et IVème siècle était
encore
très minoritaire. A côté de lui les anciennes religions coutumières
dominantes
côtoyaient de nouvelles tendances religieuses ou philosophiques parmi
lesquelles le gnosticisme ou manichéisme d'inspiration mazdéenne et le
néoplatonisme grec mais d'inspiration orientale (zoroastienne et
bouddhiste)
étaient les plus importants.
Ce qui est sûr, c'est que l'empire romain était en phase de
dégénérescence.
L'esclavagisme et la brutalité de la répression n'était plus supportée
par les
populations. La révolte contre la pratique abusive des crucifixions
posaient un
problème d'éthique et de sotériologie qui favorisait la propagation par
Paul de
Tarse du mystère de la résurrection du Christ crucifié, accompagnée de
la
promesse du salut et de la vie éternelle.
Que la conversion de Constantin fût
sincère ou
non, elle était en tout cas une bonne politique pour apaiser
les
dissensions et unir l'empire. Il est douteux que sans l'appui politique
de
l'empereur Constantin, le christianisme eût pu s'imposer.
D'une part le christianisme, à part l'éthique enseignée par Jésus et
les
témoignages controversés des apôtres, manquait d'une philosophie et
cosmologie
cohérente. D'autre part son officialisation politique exigeait
un ordre
et par conséquent des dogmes. Il semble hors de doute, du point de vue
historique, que les évangiles tels que nous les connaissons, ont été
manipulés
et rassemblés en Nouveau Testament, sous l'empereur Constantin dans le
but
d'ajouter au pouvoir impérial un pouvoir théocratique, ce qu'il sera
convenu
d'appeler un césaropapisme.
En ce qui concerne la relation de Dieu avec le monde matériel, dont les
apôtres
ne s'occupaient pas, ce seront les évêques appelés Pères de l'Eglise
qui
l'interpréteront. Ils ne pourront pas se passer entièrement des
cosmologies
traditionnelles et des principes du manichéisme ou du platonisme,
qu'ils
inclurent par syncrétisme dans leurs dogmes.
Le premier concile de Nicée (325),
convoqué par Constantin
pour unifier le christianisme - alors qu'il venait de réunifier
l'Empire par sa
victoire militaire sur son rival Licinius - eut pour objectif
principal
de définir l'orthodoxie de la foi, suite à la controverse soulevée par
Arius
sur la nature du Christ. Sous la menace de Constantin, les évêques
réunis
décidèrent que Jésus était semblable à Dieu le Père et s'accordèrent en
majorité sur le "credo de Nicée" et sur le dogme de la trinité. Les
évêques récalcitrants furent excommuniés sur ordre de Constantin. Les
interprétations ultérieurement modifiées du credo de l'Eglise de Rome,
dues
principalement à Augustin, évêque d'Hippone, conduisirent
dans les
siècles suivants à de nouvelles controverses et contribuèrent
finalement au
"schisme d'Orient", la rupture entre catholiques et
orthodoxes.
Le néoplatonisme modifié de St Augustin.
Biographie d'Augustin, évêque d'Hippone.
(résumé d'après wikipedia: Augustin d'Hippone)
Augustin est né en 354 dans une famille berbère de Numidie (Algérie
actuelle),
dont la mère possessive était chrétienne. Il eut une jeunesse dissolue
pendant
ses études de rhétorique à Carthage où il prit une concubine à 19 ans,
avec
laquelle il vivra pendant 15 ans et avec laquelle il eut un fils. Il
était
d'abord attiré par le manichéisme à la mode, mais s'intéressa à
d'autres
philosophies. Un personnage influent lui permit de partir à Rome, à
l'insu de
sa mère; de là il se rendit à Milan. Sous l'influence d'Ambroise,
évêque de
Milan, il se détacha du manichéisme, s'intéressa au christianisme et
étudia la
philosophie néoplatonicienne par la lecture des Ennéades.
Ce n'est pas sans opportunisme qu'Augustin se convertit au
christianisme, sous
l'influence d'Ambroise et de sa mère. Le témoignage d'un ami,
fonctionnaire des
services secrets, lui firent comprendre les bénéfices de la conversion
et
semble l'avoir convaincu. En même temps, sa mère, qui avait fini par le
rejoindre, arrangeait un riche mariage, ce qui lui fit renvoyer sa
concubine
avec laquelle il vivait depuis 15 ans mais ne l'empêcha pas de prendre
une
nouvelle maîtresse avant le mariage.
Après une absence de 5 ans, il revint chez lui en Afrique avec ses
amis. Deux
ans plus tard, invité par un ami de la police secrète, il se rendit à
Hippone
(actuelle Annaba, Algérie), où Valerius, évêque de la communauté
chrétienne
minoritaire, accepta de l'ordonner prêtre sur le champ. Quatre ans plus
tard,
en 395, Augustin est nommé lui-même évêque d'Hippone et le restera
jusqu'à sa
mort en 430.
Œuvre et pensée d'Augustin.
Augustin savait servir en même temps l'Eglise et l'Ordre impérial. Il
se montra
extrêmement actif pour défendre la position de l'Église Catholique
contre les
manichéens et les donatistes, schismatiques d'Afrique et majoritaires.
Autoritaire, il imposa à son clergé un mode de vie très modeste dont il
donna
lui-même l'exemple. Il appliqua la recommandation de Tertullien, dans
un texte
à propos des hérésies, selon laquelle "le chrétien, une fois qu'il a
cru,
n'a plus qu'une chose à croire, celle qu'il n'y a plus rien
d'autre à
croire". En 399, les temples païens furent fermés. Dorénavant et durant
tout le Moyen-âge et au-delà au sein de l'Eglise catholique, la libre
opinion
en matière religieuse était considérée comme une hérésie et poursuivie.
La conception sublime de l'Un selon Plotin permit à Auguste de se
détacher du
manichéisme et de se convertir au christianisme. En effet,
pour Plotin,
le mal n'est pas un pouvoir opposé au Bien comme pour les manichéens,
c'est
seulement une absence de Forme c’est-à-dire une privation, une
déficience du
Bien au niveau de l'ultime émanation du monde matériel. Aussi, il
reconnut dans
l'hypostase de l'intellect le Logos des grecs et le Verbe de l'évangile
de Jean
"au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu et
le
Verbe était Dieu".
Selon l'expert, Peter Brown « Plotin et Porphyre sont en quelque sorte
greffés
de façon presque imperceptible dans ses écrits et forment comme la base
toujours présente de sa pensée ». Mais il se différencia de Plotin au
moins sur
deux points:
Il trouvait que Plotin établissait une trop grande distance entre l'Un
et les
âmes en interposant l'hypostase de l'intellect entre Dieu et l'homme.
Il
reprochait au platonisme de s'être adressé à une élite, et de n'avoir
pas su
convaincre le plus grand nombre de se « détourner des choses terrestres
pour
les orienter vers les choses spirituelles »
Puis, il ne fit pas sienne l'idée néoplatonicienne selon laquelle le
lien entre
Dieu – ou Un – et les hommes, se fait par un processus d'émanation.
Augustin
mit au contraire l'accent sur la volonté de Dieu.
En effet, Augustin dut combiner la conception abstraite de la Forme
platonicienne avec le Dieu personnel et incarné dans Jésus. Mais en
personnifiant Dieu, le christianisme était incompatible avec la
philosophie de
Plotin. Pour celui-ci, l'Un ou Bien suprême intemporel et immobile est
origine
pure; on ne peut pas lui attribuer une action ou volonté.
C'est pourquoi,
Plotin refusait le christianisme autant que le manichéisme. Il
défendait un
monisme spirituel incompatible avec le monothéisme.
Obligé de composer avec la bible et les doctrines du concile de Nicée,
Augustin
ne pouvait pas adopter entièrement le néoplatonisme mais seulement s'en
inspirer et le modifier. Soit il renonçait à la cohérence logique de la
philosophie, soit il faisait une lecture analogique et non pas
littérale des
écritures théologiques.
Influence d'Augustin
L'influence augustinienne a marqué la pensée depuis le Haut Moyen Âge
jusqu’à
la plupart des théologiens chrétiens contemporain. Elle a influencé
toute
l’histoire de l’Église médiévale, puis alimenté les débats lors de la
Réforme
protestante. Après St Paul, St Augustin est considéré comme le
personnage le
plus important dans l’établissement et le développement du
christianisme
occidental.
Mais le recours trop exclusif à l'autoritarisme de St Augustin est
donné comme
une des causes qui ont le plus contribué à séparer plus tard l’Occident
du
reste du monde chrétien. On trouve en effet dans l’œuvre d’Augustin les
racines
des principaux points de divergence entre l’Église latine et l’Église
orthodoxe
qui conduisit au schisme d'Orient de 1054.
A part des divergences politiques et théologiques (filoque du crédo,
trinité,
baptême, purgatoire, etc.) auxquels les historiens attribuent le
schisme, il y
a entre Eglises d'Occident et d'Orient aussi une différence profonde
des
langues, cultures et traditions. La connaissance de Dieu, conçue par
Augustin
comme connaissance de l'essence divine dans l'homme, est très éloignée
de
l'apophatisme des Pères orientaux, qui signifie que Dieu ne peut être
évoqué
que par négations. De même, sa conception héréditaire du péché,
assimilé au
péché de chair, ainsi que celle de la foi et de la grâce dévalorisant
la
volonté et la liberté humaine, étaient incompatibles avec celles de
l'orthodoxie
telle qu'elle avait été définie au premier concile de Nicée. L'évêque
d'Hippone
a introduit une conception de l’ascèse et de la vie spirituelle très
éloignée
de celle de l’Orient chrétien fondée sur la synergie de la grâce avec
l’effort
et le libre arbitre humain.
La rigidité dogmatique de l'évêque d'Hippone, devenu Saint Augustin et
Père de
l'Eglise, pesa sur la vie spirituelle de tout le Moyen-âge. Elle
ouvrira la
porte à la rigidité rationnelle de la scolastique, fondée sur la
logique
d'Aristote et introduite au XIIème siècle
par Thomas d'Aquin.
VII - Le
néo-platonisme du Moyen-âge
Apogée et ouvertures du Moyen-âge
Les dogmes augustiniens
dominèrent la sombre époque du haut
Moyen-âge. Ils étaient fondés sur une conception littérale du péché
originel,
assimilé au péché de chair et tendant à la misogynie. La vie de l'homme
dépendait de la volonté de Dieu. Son salut, obtenu par la
seule grâce
divine et par le sacrifice de Jésus crucifié, exigeait la pénitence et
la
soumission en ne laissant aucune marge au libre arbitre.
Du XIe au XIIe siècle des traductions d'œuvres de l'antiquité classique
et des
contributions de savants du monde islamique apparurent en Europe. Les
connaissances des lettrés s'étendirent.
La période centrale du Moyen-âge était une époque prospère; la
population
augmenta et les mentalités changèrent. C'était aussi l'époque de la
construction des cathédrales. Il y eut une première différence entre le
dogmatisme ecclésiastique et les croyances traditionnelles de la
société
civile. N'est-elle pas visible par la différence entre l'austérité
sombre et
dogmatique des vitraux et statuaire religieux à l'intérieur des
cathédrales et
la profusion de gargouilles et de symboles alchimiques, astrologiques
et autres
qui décorent les piliers et façades, à l'extérieur laissés à
la libre
inspiration des corporations d'architectes et artisans?
L'effort de l'Eglise de concilier les aspirations du peuple et le
pouvoir du
riche clergé se manifesta d'abord dans la fondation des
ordres mendiants,
à l'exemple de François d'Assise.
Réforme des ordres religieux: franciscains et dominicains
François
d'Assise (1181–1226), dont le père
était un riche drapier, eut une jeunesse dissipée. Une longue
maladie fit
changer sa vie. A la suite d'une " grâce", il consacra tout son avoir
à Dieu le Père (l'Eglise) et fit le vœu de vivre comme les oiseaux,
dans la
mendicité. Son idéal moral s'étendit à tous les êtres de la création et
non
seulement aux hommes.
Selon une légende, François est représenté prêchant aux oiseaux
Paul du Breuil compare cette éthique à celle de Zoroastre. Il
remarque la
similitude du "Cantique des Créatures" de
François
d'Assise avec les invocations de l'Avesta qu'il cite:
"Nous
sacrifions à toutes les eaux… Nous
sacrifions à toute la terre… à tout le ciel.. à toutes les étoiles, à
la lune
et au soleil. Nous sacrifions à toute la lumière infinie… à tous les
animaux, à
ceux qui vivent dans l'eau, à ceux qui vivent sous terre, à
ceux qui
volent, à ceux qui courent, à ceux qui paissent…" aux âmes des animaux
sauvages et aux âmes des animaux domestiques … etc.".
François d'Assise est le cas
unique dans toute l'histoire
des philosophies occidentales, grecques ou chrétiennes, d'extension de
l'obligation morale aux animaux.
La communauté que François fonda et qui devint l'ordre franciscain, fut
victime
de son succès. Elle devint une organisation plus intellectuelle et
cléricale,
ce qui déplut à François qui finit par renoncer à la direction et se
retira.
La "grâce" de François d'Assise est une prise de conscience de
l'interdépendance de tous les êtres, une conception du monde et une
éthique que
l'on trouve seulement dans le bouddhisme, le jaïnisme et le
zoroastrisme. Elle
est comparable au logos ou "noûs" grec sans pour autant que le
platonisme, qui l'assimile à l'intellect, y attache une obligation
morale. La
grâce, comme les "révélations" des prophètes, peuvent être
considérés, suivant Jung, comme une irruption passagère de
l'inconscient
collectif dans la conscience individuelle, elle est bouleversante,
incitant son
destinataire à la communiiquer comme une révélation.
En effet, le jeune François n'était pas un lettré, il ne pouvait pas
avoir
connu le zoroastrisme. *Son successeur et biographe désigné par le pape
par
contre, Bonaventura de Bagnoregio était un savant qui connaissait
Platon.
Dominique de Guzmán (1221 -1234),
né en Espagne, était prédestiné
dès l'enfance à l'Eglise. Il étudia la théologie et la philosophie et,
à l'âge
d'environ 25 ans, il entra comme chanoine au chapitre des chanoines
réguliers
d'Osma. Il se distingua par sa ferveur et son zèle qui le portèrent
cinq ans
seulement plus tard à la qualité de sous-prieur. Au retour d'un voyage
au
Danemark il passa par Rome et Cîteaux puis s'arrêta au Languedoc,
résolu à
combattre l'hérésie cathare.
Il
est représenté avec un chien portant une torche, à cause du jeu de mots
:
"Dominicanus" (dominicain) : "Domini canis" (chien du
Seigneur).
À la même époque, Simon de Montfort, à la tête d'une armée de croisés,
extermine les Albigeois par le fer et par le feu (1205-1215). Dominique
aurait
opéré un grand nombre de conversions par la seule persuasion ; il
n'aurait pas
pris part à la guerre, ne voulant d'autres armes que la prédication, la
prière
et les bons exemples.
Dominique et son collaborateur Foulques, évêque de Toulouse,
se rendirent
à Rome en 2016, au IVe concile du Latran : là, avec le pape Innocent
III, ils
projetèrent l'établissement d'un ordre des Prêcheurs. Une règle
inspirée de
celle de saint Augustin sera choisie. Ainsi Dominique fonda l'ordre des
Prêcheurs devenant ordre des Dominicains.
Une controverse existe sur le rôle de Dominique comme Inquisiteur dans
le
Languedoc, rôle que certains nient, argumentant que Dominique est mort
en 1221,
et que c'est seulement en 1231 que le titre d'Inquisiteur fut attribué.
En
réalité, les bases de l'Inquisition furent posées en 1199 déjà par
Innocent III
et renforcées en 1231 pour combattre les hérésies. L'histoire de la
croisade
des Albigeois prouve que, si le titre n'existait pas officiellement, la
fonction
existait bel et bien et que Dominique en était l'exemple. Après lui,
l'inquisition dans le Midi contre les cathares fut confiée presque
exclusivement à l'ordre des Dominicains.
Conflit entre Papauté et Saint-Empire romain-germanique:
guelfes et gibelins
Frédéric II
de Hohenstaufen (1194-1250) favorisa
beaucoup l'ouverture des lettrés vers les autres cultures et les
nouvelles
connaissances. Eduqué librement à Palerme, au contact de musulmans,
grecs et
juifs, il parlait 6 langues. Devenu empereur, il favorisa l'acquisition
de
manuscrits de provenance byzantine et islamique, et créa des
académies, dont l'université de médecine de Salerne,
anticipant ainsi
l'éclosion culturelle de la Renaissance italienne.
Parce qu'il avait réuni le royaume de Sicile au Saint-Empire romain
germanique,
encerclant ainsi le petit état pontifical, il s'attira la haine du pape
Grégoire IX. Ces circonstances ravivaient la vieille lutte entre les
gibelins
partisans du pape, et les guelfes, partisans de l'Empire? Frédéric
suscita la colère
du pape et fut excommunié et traité d'Antéchrist. Il avait en effet
promis de
partir en croisade, mais il différa son départ et obtint pacifiquement
Jérusalem, en négociant directement avec le sultan Al Kamil d'Egypte,
au lieu
de la conquérir par le fer et le sang comme le voulait le pape.
La vindicte papale poursuivie par Innocent IV après la mort de Frédéric
alla
jusqu'à l'exécution de tous ses descendants directs, y compris femmes
et
enfants, afin d'éradiquer la généalogie des Hohenstauffen. Son
excommunication
ne fut jamais levée.
C'est dans ce contexte de nouvelles ouvertures d'esprit et de vieilles
luttes
des pouvoirs qu'il faut comprendre l'élaboration de nouvelles thèses
théologiques et philosophiques, cherchant à concilier la spiritualité
traditionnelle
d'Augustin avec la rationalité classique grecque redécouverte.
Réformes théologiques et philosophiques: aristotéliciens
et platoniciens.
Thomas d'Aquin (1225 -1274) est
un théologien dominicain
et aristotélicien célèbre pour
son œuvre théologique qui
deviendra la base philosophique des enseignements de l'Eglise, la
scolastique,
connue sous le nom de thomisme. Qualifié du titre de « Docteur
angélique ». Il
a été canonisé le 18 juillet 1323, puis proclamé docteur de l'Église en
1567,
patron des universités, écoles et académies catholiques en 1880.
Vatican II
demande qu'on prenne Thomas d'Aquin comme maître dans la formation des
prêtres.
Originaire de l'Italie du sud, il fut éduqué chez les bénédictins au
Mont
Cassin. puis à Naples dans une académie fondée par Frédéric II, où il
découvrit
Aristote à travers Averroès. Attiré par les frères prêcheurs, il décida
d'entrer dans l'ordre des dominicains. Il devint ensuite étudiant à
Paris de
1245 à 1248. Puis il suivit son maître Albert le Grand (dominicain
commentateur
d'Aristote) à Cologne jusqu'en 1252. En 1256, il fut nommé
Maître-Régent
(docteur en Écriture sainte) avec Bonaventure de Bagnorea. Il enseigna
ensuite
à Paris puis en Italie et intervint dans différentes querelles
théologiques.
Thomas chercha à concilier l'esprit d'Augustin avec la raison
d'Aristote. Sa
philosophie, qui deviendra celle de l'Eglise catholique, est
fondée sur
une ontologie et une logique rigoureuse.
L'ontologie d'Aristote affirme l'être comme principe de l'univers. Pour
le
théologien Thomas, cet être réside en Dieu. Mais dans le monde
manifesté,
l'être n'est pas continu et immobile comme l'imaginait Parménide. Le
changement
est expliqué dans le thomisme par des couples de principes permanents
et de
principes du changement: existence et essence, substance et accident,
matière
et forme. On peut y voir une influence de Platon, mais c'est en réalité
tout
différent de la complémentarité ou alternance d'états contraires du
platonisme.
L'affirmation de l'être sous toutes ses formes, divines et physiques,
implique
nécessairement le principe d'identité selon
lequel
"Une chose est ce qu'elle est.". Il en résultent deux autres
principes:
- le principe de non-contradiction:
"ce qui est
ne peut pas en même temps ne pas être",
- le principe du tiers exclu:
"il y a être, ou
non-être, pas de demi-être".
Ces principes de contradiction exclue et de tiers exclu sont les
fondements des
syllogismes d'Aristote. Ils sont la base de la logique formelle et
méthodologie
thomiste.
Bonaventure de Bagnoregio (1218-1274) est
un
théologien franciscain et néoplatonicien.
Archevêque,
cardinal, "Docteur séraphique" de l'Église et ministre général des
franciscains, il est canonisé en 1482, et reste connu sous le nom de
saint
Bonaventure.
Bonaventure est né à Bagnoregio, en Italie centrale. Il fut envoyé par
son père
à la Sorbonne pour étudier l'art. Déjà influencé par les frères
mendiants de sa
région natale, il décida à Paris de rejoindre l'ordre des franciscains.
Il
étudia et enseigna à Paris. En 1256 il obtint le titre de Docteur en
même temps
que Thomas d'Aquin. La même année il fut nommé ministre général de
l'ordre des
franciscains et arbitra une querelle entre spirituels et
conventuels. Il
prit une part active à l'unification de l'Eglise lors de conclaves et
conciles.
Il mourut au deuxième concile de Lyon en 1274, pendant la session,
alors que
Thomas d'Aquin mourut pendant le voyage en se rendant à ce
même concile.
La théologie de Bonaventure est
essentiellement fondée sur
la trinité dont la conception est nettement influencée par la trilogie
néoplatonicienne des hypostases. Elle unit la spiritualité à la raison
mais de
manière différente de celle de Thomas.
La philosophie de Bonaventure cherche le Bien dans l'Unité et l'amour
plutôt
que dans la "vérité" comme Thomas. Elle est fondée
essentiellement sur le principe de la "coïncidence
des opposés ou
unité des contraires, sous différentes formes.
La trinité elle-même, à la fois une et trois, suppose la
coïncidence des
opposés. A partir de l'unité trine de Dieu émanent les coïncidences
d'opposés
du monde manifesté: fini et infini, minimum et maximum, microcosme et
macrocosme, bien et mal, beau et laid.
La trinité chez
Bonaventure prend différents aspects
car elle ne reste pas métaphysique mais, par "émanation",
elle fait partie du monde. Elle se présente comme une hiérarchie
comparable à
celle de l'allégorie de la caverne de Platon et des trois hypostases de
Plotin
reliées par émanation.
Selon Ken Wilber, Bonaventure enseignait les trois yeux de la
connaissance:
l'œil de chair (sensation), l'oeil de raison (pensée) et l'œil de
l'esprit
(vision mystique). Je n'ai pas trouvé sa source. Il s'agissait sans
doute d'un
prêche. C'est plus que probable car les articles théologiques trouvés
sur
internet désignent la même trilogie hiérarchique sous des termes
théologiques
abstraits. (lien 1 et lien
2)
Ainsi, la relation trine entre Dieu et le monde est une triple relation
causale
: efficiente, exemplaire et finale. La
cause efficiente appartient
au monde physique, la cause exemplaire est celle des idées ou principes
éternels de Platon, la cause finale est l'Unité dans l'Être-Dieu.L'exemplarisme signifie
que chaque manifestation de la nature est un reflet ou symbole d'une
réalité
métaphysique.
Dans la conception cosmologique et philosophique, la hiérarchie et
l'exemplarisme impliquent une logique d'analogie: toutes les
manifestations de
la nature, tous les êtres vivants sont des exemples ou symboles de
l'organisation trine divine, conformément à la vision de François
d'Assise.
Cette logique est semblable à celle des holographies et
homothéties
fractales modernes
Dans la conception théologique de Bonaventure, la cause exemplaire est
le
médium ou tiers inclus entre Dieu et le monde physique. Elle est
représentée par
le Christ en tant que logos ou Verbe. D'ailleurs il ne voit pas
l'émanation et
la hiérarchie trine comme un sens unique mais comme un cercle avec
retour à la
source. A l'Exitus coïncide un Reditus, à l'alpha un oméga,
conformément
à la logique de la coïncidence des opposés. (ou comme l'expiration et
inspiration dans le prâna du yoga)
Postérité
La philosophie et théologie néoplatonicienne de Bonaventure fut
contestée et
éclipsée dès le début par celle de Thomas d'Aquin, dont la logique plus
empirique et compréhensible convenait mieux aux prétentions de l'Eglise
à la
Vérité unique justifiant sa prétention de souveraineté absolue et son
inquisition. Dans les milieux plus cultivés, le néoplatonisme resurgira
cependant dès le début de la Renaissance.
Dans une audience générale de mars 2010, Bénédict XI mit en parallèle
Thomas et
Bonaventure, soulignant avec raison leurs complémentarités et leurs
différences. Ce qu'il ne dit pas, c'est que leurs logiques respectives
sont
valables et applicables à des niveaux différents de la réalité et de la
connaissance. En préférant Aristote et en négligeant Bonaventure,
l'Eglise a
préféré le niveau matériel et la dualité matière -esprit au niveau
idéal,
symbolique et et au tiers inclus de la trinité spirituelle. Les
conséquences
ont étét l'abandon par l'Eglise de sa mission spirituelle et
l'ouverture de la
porte au positivisme matérialiste. Les conséquences pour l'Eglise et la
culture
occidentale en général sont catastrophiques.
VIII - Le néoplatonisme de la Renaissance
Le dernier théologien
platonicien du Moyen-âge et premier scientifique de la Renaissance
Nicolas
de Cues (1401 – 1464), en latin Nicolaus Cusanus,
est un
penseur allemand de la fin du Moyen-Age. Il était théologien, cardinal
et
évêque, avant de devenir vicaire temporel et ami du pape Pie
II.
Mais il était aussi un philosophe néoplatonicien, mathématicien et
astronome
dont les conceptions annonçaient les cosmologies de Copernic et Galilée
Sa pensée était guidée par la logique de "coïncidence
des
opposés", qui lui est apparue comme une révélation,
mais dont il
avait sans doute connu le principe par l'étude des néoplatoniciens.
Pour lui
c'était une nouvelle méthode. Elle lui permit de résoudre quantité de
problèmes, dans divers domaines.
En théologie la coïncidence des opposés conduit par synthèse à l'Unité
divine
où la raison humaine ne peut plus faire aucune distinction.
Dans la
docte ignorance il explique que Dieu est
l'opposition des opposés:
Il préexiste à toutes les oppositions qui sont seulement dans les
choses
créées. Il rejoint la conception de transcendance absolue, du Un de
Plotin,
mais par une critique des limites de la connaissance humaine.
En astronomie et en géométrie, abordées d'un point de vue
purement
métaphysique, il conçut l'univers infini,
mais dans le sens
"indéfini", de limites inatteignables. Entre la connaissance humaine
et la vérité, on trouve le même rapport qui existe entre les polygones
inscrits
et circonscrits avec la circonférence : même si l’on multipliait à
l’infini les
côtés du polygone, ils s’approcheraient indéfiniment de la
circonférence sans
jamais s’identifier avec elle. Selon la tradition pythagoricienne, il
admettait
ainsi que dans l'univers infini, le centre est partout et la limite
nulle part.
En ontologie, développée dans De coniecturis,
il présenta
l'architectonique néoplatonicienne en quatre niveaux, suivant la
tetractys
pythagoricienne de Proclus. Elle comprend: 1) L'Unité originelle de
Dieu, 2)
l'unité de l'intellect , 3) l'unité de l'âme et 4) l'unité du corps
physique.
Aux trois hypostases et émanations métaphysiques de Plotin s'ajoute
donc la
manifestation physique comme quatrième forme d'unité.
La métaphysique de Nicolas de Cues s'appuie sur les principes
néoplatoniciens
et pythagoriciens. Mais le Cusain cherchait surtout à concilier la
tradition de
l'Eglise et du Moyen-âge avec la nouveauté, l'aristotélisme avec le
platonisme,
par la coïncidence des opposés. Il se situe dans la transition du
Moyen-âge à
la Renaissance.
La Renaissance florentine
La chute
de Constantinople en 1453 est la date qui marque le début de la
Renaissance. Déjà pendant les décennies qui précédèrent cette chute
prévisible,
des byzantin apportèrent en Occident des manuscrits d'auteurs grecs,
notamment
à Venise et à Florence. C'est ainsi qu'à l'occasion du concile de
Florence de
1439, Gémiste Pléthon apporta le platonisme à Florence.
Gémiste Pléthon (~1360 - 1452) était
membre laïc de la
délégation byzantine. C'était un penseur hors du commun, même dans le
milieu
byzantin. Il était formé par l'école platonicienne de Constantinople.
Au cours
d'un voyage aux confins de l'empire ottoman, il rencontra dans ce
milieu
cosmopolite des chrétiens, juifs et musulmans. Il y fit connaissance
aussi des
philosophes proches du soufisme, héritiers des anciens Perses
et
restaurateur de la doctrine de Zoroastre
Revenant à Constantinople, ses interprétations de Platon firent
scandale. Il
dut s'exiler à Mistra, dans le Péloponnèse, centre intellectuel
important où il
devint professeur. Il enseigna la philosophie, l’astronomie, l’histoire
et la
géographie tout en écrivant sur ces sujets et en compilant des résumés
de
nombreux auteurs classiques. Il considérait Constantinople moins comme
successeur de l’empire romain que comme héritier de la culture et de la
civilisation grecque ou hellène. C'est à Mistra qu’il développa le
concept
d’une filiation entre les Byzantins et les Grecs de l’Antiquité.
Concernant la théologie, son ouvrage le plus important, le traité
des lois, est tenu pour secret, confidentiel par
prudence et réservé à
son entourage le plus proche. Il y enseigne la théologie selon
Zoroastre, et
présente les bases de sa réforme en reprenant la méthode des études
platoniciennes dans la tradition initiatique.
Pléthon va renverser totalement la théologie historique des chrétiens
et
revient à l'hellénisme de Platon, et au-delà de lui, à Zoroastre.
Il est
non seulement opposé au christianisme mais aux monothéismes en général.
Mais au
lieu de se rallier au monisme transcendant d'Ahura Mazda de Zoroastre,
il
revient à un polythéisme helléniste, inspiré des Amesha Spenta, les
principes
immortels bénéfiques du zoroastrisme. Il est résolument optimiste, il
refuse
l'apophatisme de Plotin. Pour lui, Dieu est reconnaissable dans tout ce
qui est
bénéfique.
A l'encontre des prétentions d'historiens juifs, dont Flavius Josèphe,
pour qui
Platon doit tout à Moïse, Pléthon dit dans le Traité des Lois, que
Zoroastre
est « le plus ancien des législateurs et des sages dont nous ayons
mémoire »,
qu’il a été « pour les Mèdes et les Perses et la plupart des autres
anciens de
l’Asie l’interprète le plus illustre des choses divines et du plus
grand nombre
des autres grandes questions. » (lien)
Dans le De Differentiis ou "En
quoi
Aristote se différencie de Platon", Pléthon soutient Platon.
Pour lui,
il ne s’agit pas de concilier les religions entre elles, ni Aristote et
Platon.
Pléthon ne vise pas seulement la christianisation d’Aristote dans le
thomisme,
mais Aristote lui-même, plus précisément sa dissidence par rapport à
Platon. Il
lui reproche d’ignorer le dieu créateur, et de ne penser l’Être qu’en
logicien.
Les polémiques entretenues entre théologiens monothéistes, orthodoxes
ou hérétiques
sur la base du principe de non-contradiction d'Aristote, sont autant de
«
sophismes ». L’échec du concile de Florence de réunir les églises de
Rome et de
Constantinople est en effet imputé en partie à la méthode
utilisée, le
syllogisme aristotélicien, qui n’aboutit qu’à des distinctions
oratoires
stériles et à la division.
Les conférences que Pléthon
donnait à Florence fascinèrent les intellectuels et
parmi eux le mécène Cosme de Médicis qui
fonda une
académie platoniste. La redécouverte à Florence du platonisme, était
accompagnée ailleurs d’une victoire progressive de
l’aristotélisme (bien
que l’on cherchât en général la concordance entre les philosophes). En
revanche, la prise de Constantinople en 1453, et le patronage des
médicéens ont
favorisé la transmission d’une tradition de pensée liant l'hellénisme
classique
à des sagesses plus archaïques, comme celle d’Hermès trismégiste ou de
Zoroastre.
Parmi les nombreux artistes et intellectuels de la cour des Médicis,
les
représentants du néoplatonisme florentin les plus connus sont
Marsile Ficin, et Pic de la Mirandole.
Marsile Ficin était
un connaisseur et traducteur et
interprète incomparable de la pensée grecque, non seulement de Platon
Plotin et
de leurs successeurs mais aussi d'Hermès trismégiste.
Pic de la Mirandole, grand
érudit humaniste, plus connu pour sa
vie aussi romanesque que rocambolesque que pour son œuvre volumineuse,
construisit sa propre philosophie syncrétique incorporant au platonisme
les
sagesses et mystères de Zoroastre, des chaldéens, de
l'hermétisme, de la
cabbale et du talmud. Son œuvre fut interdite par le pape et l'obligea
à l'exil
en France. Rappelé par Laurent de Médicis, son protecteur, il rejoignit
et se
réconcilia avec Savonarole qu'il connaissait depuis sa jeunesse à
Ferrare, et
qui devint le fossoyeur de la Renaissance.
Le dernier philosophe
platonicien de la Renaissance et premier scientifique moderne
Giordano
Bruno (1548 – 1600) est le dernier grand
platonicien, à la fois dernier génie universel de la Renaissance et
anticipateur de cosmologies modernes et postmodernes. La portée
prémonitrice de
sa pensée reste encore très mal comprise. Il ne se situe pas dans le
cadre de
la Renaissance florentine mais dans la succession de Nicolas de Cues
dont il a
repris la cosmologie de l'infini.
Né à Nola, près de Naples, il reçut une éducation humaniste et apprit à
l'Université de Naples les techniques de mémoire, la mnémotechnie de
Raymond de
Lulle qui devint une de ses disciplines d'excellence. Il y connut aussi
les
débats entre platoniciens et aristotéliciens. Il entra ensuite chez les
frères
prêcheurs du prestigieux couvent San Domenico Maggiore. Ordonné prêtre
en 1573,
il devint lecteur en théologie en1573. Mais sa culture éclectique et
ses
intérêts pour Erasme et l'hermétisme s'accommodaient mal avec la
rigueur du
thomisme. Accusé de lire des livres interdits, il abandonna le froc
dominicain
et s'enfuit en 1576.
Il mena ensuite une vie d'errances à travers l'Europe en enseignant et
écrivant. Après la Lombardie, la Genève calviniste et la Toulouse
catholique
agitée par la Réforme, il eut cinq ans de paix comme lecteur au Collège
de
France sous Henri III qui admirait sa mémoire. Puis il partit en
Angleterre où
il fut mal reçu. Provocateur et méprisant pour ses contradicteurs, il
écrivit
alors ses livres les plus révolutionnaires et audacieux. Devenu
indésirable en
Angleterre, il retourna à Paris. Mais Henri III ne put plus se
permettre de le
protéger et il s'exila en Allemagne, dans différentes villes. Après
avoir été
excommunié par les catholiques, les calvinistes de Genève, il fut
excommunié
aussi par les luthériens allemands, toujours en raison de son hostilité
aux
dogmes bibliques et à Aristote. Après une dernière expulsion de
Francfort et
des périples à Prague et à Zurich, désireux de retourner en Italie, il
accepta
une invitation à Venise. Mais il finit par y être dénoncé à
l'inquisition et
extradé à Rome. Après un procès de 7 ans, il fut condamné et
supplicié au
bûcher, nu et bâillonné, devant une foule de pèlerins.
Ce que les biographes de Giordano Bruno mettent en lumière, ce sont
d'une part
ses polémiques virulentes contre l'Eglise et la scolastiques et d'autre
part
ses thèses cosmologiques d'avant-garde. On commente moins ses critiques
de la
logique aristotélicienne à notre époque dominée par les sciences
empiriques.
Celles-ci ont en effet repris la méthodologie et la logique formelle
fondée sur
les principes aristotéliciens d'identité, de contradiction exclue et de
tiers
exclu.
Ce qui n'a pas encore été compris, c'est que la philosophie éclectique
de Bruno
est fondée sur des principes premiers universels qui ne se limitent à
aucune
idéologie particulière. Sans se réclamer spécifiquement de Platon, sa
philosophie comprend dès lors, et tout naturellement, ce que le
platonisme a
d'universel. Mais alors que les philosophies néoplatoniciennes
tendaient vers
l'Un et le mysticisme du Bien suprême, Giordano Bruno fait des
principes
universels les bases pour la compréhension de l'unité du monde créé.
C'est d'ailleurs
cette intention mal comprise qui lui valut le reproche d'hérésie
panthéiste.
On ne répétera donc pas ici ce que les biographies traitent
abondamment. Il
s'agit de mettre en lumière ce par quoi Bruno précise et dépasse les
principes
universels platoniciens, jetant la base d'une cosmologie
qu'on
appellerait aujourd'hui systémique ou holistique.
Les oeuvres de Giordano Bruno sont
nombreuses. On peut
trouver l'essentiel de sa cosmologie dans De
triplici minimo et
mensura qui devait être un grand
traité systématique. Mais
en raison de sa fuite de Francfort, l'oeuvre resta inachevée. Les
principes de
base de sa philosophie y sont pourtant bien exposés. Ce sont
les
développements détaillés des conséquences qui restèrent
inachevés. En
raison de la complexité de son contenu autant que de son style, le
traité latin
est difficile à comprendre et reste non traduit.
(Version latine téléchargeable en pdf dans BIBLIOTHECA BRUNIANA ELECTRONICA,
Vol I. iii, les citations
suivantes sont tirées de la traduction de l'auteur: lien)
La trilogie cosmique
Au début du premier chapitre du premier livre, Giordano Bruno résume en
trois
paragraphes la trilogie néoplatonicienne: Dieu, la nature et la raison,
correspondant en d'autres termes aux trois hypostases de Plotin: le Un,
l'intellect et l'âme.
L'intelligence
au-dessus de tout c'est Dieu. L'intelligence
sise dans toute chose, c'est la nature. L'intelligence qui pénètre
tout, c'est
la raison. Dieu prescrit et ordonne. La nature obéit et exécute. La
raison
contemple et examine. Dieu est l'unique, la monade, source de tous les
nombres,
simplicité de toute grandeur et substance de tout composé, excellence
au-dessus
de tout, mouvement indénombrable, immesurable. La nature est nombre
dénombrable, grandeur mesurable, mouvement percevable. La raison est ce
qui
dénombre le nombre, qui mesure la grandeur, qui perçoit le mouvement.
Dieu influence la raison par l'intermédiaire de la nature. La raison
est élevée
vers Dieu par la nature. Dieu est amour, efficience, clarté, lumière.
La nature
est aimable, objet, feu et ardeur. La raison est aimante, sujet en
quelque
sorte car embrasé par la nature et illuminé par Dieu.
Le sens est un œil dans la prison des ténèbres,
apercevant la
surface et les couleurs des choses voilées par des grilles et des
trous. La
raison voit la lumière venant du soleil comme
reflétée par une
fenêtre, vers le soleil, de la même manière qu'elle est
réfléchie par le
corps de la lune. L'oeil de l'esprit voit ouvertement partout comme sur
un
observatoire haut placé, au-dessus de toute particularité, perturbation
et
confusion de l'univers dues à la distinction des phénomènes,
il contemple
le soleil brillant lui-même.
Premier paragraphe: Dieu est le Un, principe et monade. La nature est
présentée
comme des possibles, comme les Idées ou Formes de Platon et les nombres
de
Pythagore. La nature intelligente n'est pas ce qui est perceptible par
les sens
mais ce qui est intelligible par la raison, ce sont les lois de la
nature. Pour
Bruno, les sens sont trompeurs car leur perception dépend du moment et
du point
de vue.
Deuxième paragraphe: Bruno précise l'unité dans la relation
hiérarchique par la
coïncidence des opposés. Comme chez Nicolas de Cusa, la raison est le
tiers
inclus entre le Principe premier et la nature créée. L'ordre qui émane
du
Principe non manifesté vers la nature manifestée, retourne de la nature
au
Principe, par l'intermédiaire de la raison (le Logos des Grecs ou
l'Homme,
Verbe incarné).
Troisième paragraphe: Les niveaux de la connaissance sont décits de
manière
symbolique, comme dans l'allégorie de la caverne de Platon, les
hypostases de
Plotin ou les trois yeux de la connaissance de Bonaventure. Il serait
vain de
chercher une transmission d'un savoir à la manière des historiens et de
remonter jusqu'à Zoroastre. La trilogie est universelle. Elle existe
dans
toutes les sagesses antiques: le Samkhya, le taoïsme, l'hermétisme, le
druidisme celte ou le chamanisme nordique ou amérindien.
La coïncidence des opposés, principe
d'inséparabilité cosmologique.
Dans d'autres chapitres, il précise et généralise le principe logique
de coïncidence
des opposés qui opère l'unité cosmique.
Rien de ce qui existe
ne diffère au point qu'il ne
coïncide pas selon quelque raison fondamentale avec ce dont il diffère
ou
auquel il est contraire; … …C'est pourquoi il est clair même pour le
philosophant ordinaire que tous les contraires résident dans un même
genre en
raison d'une matière commune de l'un et de l'autre….Mais de cela nous
traitons
plus amplement dans le livre "De principio et uno" où nous avons
démontré expressément la coïncidence de tous les opposés et rétabli le
principe
le meilleur d'une philosophie d'autrefois défunte et seulement à
redécouvrir.
Par la simple réflexion métaphysique, Bruno postule ce que la physique
a
redécouvert par l'inséparabilité quantique.
La monade, origine du monde intelligible.
Avec sa théorie de la monade, Giordano Bruno dépasse le néoplatonisme.
Il se
réfère aux philosophes grecs Leucippe et Démocrite et à leur conception
de
l'indivisible, de l'atome. Mais sa conception de la monade indivisible
n'est
pas physique et matérielle comme celle des Grecs. Elle reste
fondamentalement
métaphysique. Le minimum est à la fois l'origine nécessaire de toute
mesure
d'espace (le point), de temps (l'instant) et de corps (atome). Mais il
est
aussi cause matérielle, efficiente et formelle.
De la lumière de
vérité d'un seul surgit la lumière de
vérité du multiple, de même d'une seule absurdité de nombreuses autres
s'ensuivent.
Une matière, une forme, un efficient. Dans toute série, échelle,
analogie, la
multitude procède à partir d'un, consiste en un et se réfère à un; ce
premier
sous-jacent est à considérer comme premier modèle et premier agent.
…. C'est pourquoi l'immense n'est rien que le centre partout;
l'éternité n'est
rien que l'instant présent, qui est le un et le permanent des choses
éternelles, l'un et l'autre étant impliqué dans une succession et
quelque
réciprocité des immuables; immense est le corps atome, immense est le
plan
point. Immense est l'espace réceptacle du point et de l'atome.
Ainsi la monade est à l'origine de tout, de l'immense, qui procède par
conséquent des propriétés ternaires de la monade. Par la logique de
coïncidence
des opposés, la monade est à la fois minimum et maximum, point central
et
cercle périphérique. La relation entre le minimum et le maximum est une
relation analogique. Bruno anticipe les relations d'homologie
systémique ou
d'homothéties fractales, redécouvertes au vingtième siècle mais qui
étaient une
évidence dans toute culture antique.
L'œuvre inachevée de Giordano Bruno reste mal connue, peu traduite et
souvent
mal interprétée. Seuls ses livres polémiques ont connu du succès et ont
été
traduits. Ses thèses métaphysiques restent à être explorées par des
philosophes
scientifiques plutôt que par des historiens. Par le raisonnement
épistémologique
et la théorie des monades, Giordano Bruno a anticipé l'inséparabilité
quantique
et le quantum de Planck. Beaucoup de questions quant à l'application de
sa
conception de la monade aux sciences théoriques et à la cosmologie
doivent
encore être éclaircies.
Conclusion: l'évolution de la civilisation
occidentale
En mettant fin à la vie et à
l'œuvre de Giordano Bruno, l'Eglise a mis fin
aussi au néoplatonisme. Après le supplice de Bruno. Galilée a préféré
se
rétracter et Descartes n'osait guère exprimer publiquement ses idées
proches
des platoniciens. Les penseurs positivistes du "siècle des lumières",
héritiers de la logique aristotélicienne, ont interprété le "je pense
donc
je suis" selon le principe d'exclusion des contraires, dans le sens de
la
division entre l'esprit et la matière. Ils ne l'ont pas compris dans le
sens de
l'unité par coïncidence des contraires. Ils ont éconduit la culture
vers le
matérialisme
Mais l'histoire n'est pas finie. L'organisation de la nature, son unité
et
l'interdépendance de tous les êtres, minéraux, végétaux et animaux,
reconnus
par les sages antiques, auront leur revanche.
Giordano lui-même commenta sa condamnation devant ses juges: « Vous
éprouvez
sans doute plus de crainte à rendre cette sentence que moi à la
recevoir. » En
appliquant la logique aristotélicienne à ses dogmes et à sa prétention
d'infaillibilité, l'Eglise catholique a failli à sa mission
spirituelle. Le
protestantisme, selon la même logique, s'est divisé en sectes
radicalisées par
l'interprétation littérale de la bible. La civilisation occidentale
judéo-chrétienne, dégénérée en idéologies matérialistes,
anthropocentriques et
égocentriques est en déclin. L'Eglise catholique est moribonde. Elle a
perdu
toute crédibilité aux yeux des gens instruits et ne peut s'appuyer que
sur la
foi des simples d'esprit à qui elle promet le royaume des
cieux.
Les sciences matérialistes par contre, qui ont adopté la méthode
aristotélicienne ont beaucoup progressé et apporté dans le domaine
empirique et
matériel. Mais elles ont divisé les connaissances en spécialités
innombrables.
Quant aux sciences théoriques, elles se heurtent, malgré les
mathématiques et en partie à cause d'elles, à des paradoxes
incontournables et
des impasses.
Il n'est pas étonnant, dès lors, que les gens, déçus par l'Eglise
autant que
par le matérialisme, tout imprégnés qu'ils restent de logique de
non-contradiction, cherchent "La Vérité" en se tournant par réaction
vers des idéologies mystiques refusant toute logique, que ce soient les
spiritualités
relativistes du new age ou les fanatismes absolutistes des intégrismes
monothéistes.
Par la logique de coïncidence des opposés et par la monade, origine de
l'organisation trinitaire de l'Univers, Giordano Bruno offre
une issue
aux impasses théologiques et matérialistes auxquelles a conduit
l'application
exclusive et unilatérale de la logique aristotélicienne, qui ignore les
niveaux
de la connaissance et de la logique.
La rationalité de Bruno réconcilie l'Unité transcendante et
la pluralité
manifeste, l'esprit et la matière, la Tradition et la Science.