Chapitre  IX

Un modèle universel des systèmes physiques et biologiques 

Récapitulation critique.

Le "modèle d'intégration fonctionnelle" (MIF) des systèmes ouverts repose en partie sur les thèmes épistémologiques qui sont un développement du postulat fonctionnel et en partie sur les principes philosophiques des médecines traditionnelles orientales, à savoir leurs théories des éléments et la théorie des humeurs de l'ayurvéda. Le lecteur a pu se demander à juste titre ce que cet amalgame théorique peut avoir en commun avec la réalité scientifique. Pour répondre à cette objection et pour prouver la validité de ce modèle, les développements logiques qui ont conduit à ces conclusions vont être brièvement résumés. Ensuite une interprétation rationnelle et  scientifique pourra aussi être donnée à ces "humeurs" de la médecine védique et la conformité du modèle avec les lois de la physique pourra être vérifiée.

Toute la démonstration a été fondée sur les nouvelles bases axiomatiques qui résultent des découvertes scientifiques les plus récentes de la physique théorique et des sciences cognitives, et qui s'écartent aussi bien de la logique aristotélicienne classique que du positivisme réductionniste et déterministe. Un premier axiome est la logique de la complémentarité des contraires, le principe d'antagonisme que Lupasco a déduit des développements de la physique quantique et qui s'oppose à la logique du principe de non-contradiction et du tiers exclu. Selon la conception des niveaux de la connaissance de Wilber, cette logique classique n'est applicable qu'au niveau concret de l'observation du phénomène, alors qu'au niveau abstrait du raisonnement déductif, qui est aussi celui des équations mathématiques, le fonctionnement des systèmes est toujours soumis aux règles de la logique des antagonismes. Un autre axiome est inspiré de l'hypothèse du "bootstrap",  selon laquelle le monde doit être expliqué par la cohérence des interactions énergétiques et non pas par des entités telles que la matière. Celle-ci est donc considérée comme une simple condition de notre expérience du monde, comme un paramètre au même titre que l'espace et le temps.

La conséquence logique de ces axiomes est que tout phénomène actualisé doit être défini comme fait observable par trois aspects fondamentaux: sa composition matérielle, sa grandeur ou forme spatiale et sa présence ou évolution temporelle. Par ailleurs chaque fonction ou interaction doit être définie par un antagonisme, une paire de forces ou d'états à la fois contraires et complémentaires, représentant un potentiel. La connaissance est considérée elle-même comme une fonction définie par la relation indissociable des antagonistes sujet et objet; ce qui signifie que toute connaissance a, du point de vue subjectif, un contenu ou un sens, mais suppose, du point de vue objectif, un conditionnement par la matière, l'espace et le temps.

Sur la base de ces axiomes, le problème fondamental de la biologie, celui de la vie, se présente sous forme du postulat suivant: L'être vivant, considéré non plus comme une entité matérielle mais comme un système, un ensemble fonctionnel, doit nécessairement assurer son existence grâce à une triple fonction d'adaptation à  l'environnement qui maintient sa composition matérielle, sa forme spatiale et sa permanence dans le temps. Ces trois fonctions primordiales ont été définies par des antagonismes représentant la signification fonctionnelle, donc le sens subjectif pour l'être vivant, de la matière, de l'espace et du temps:

Masse-énergie ou Substantialité-Dynamisme pour la matière,

Ensemble-parties ou Continuité-Discontinuité pour l'espace,

Passé-futur ou Détermination-Indétermination pour le temps.

Ces antagonismes sont en réalité l'expression de nouvelles conceptions qui se sont imposées aux sciences sur la base de faits scientifiques indiscutables et qui dépassent les principes fondamentaux de la méthode scientifique classique. La première complémentarité est celle de la théorie de la relativité, la seconde, qui correspond à la pensée systémique non réductionniste, relève de la physique des quanta et de la topologie; enfin la troisième complémentarité s'oppose au déterminisme mécaniste par l'introduction des notions de l'indétermination et du hasard qui se sont imposées aussi bien en physique quantique que dans la thermodynamique irréversible étudiant le comportement des systèmes chaotiques et des "structures dissipatives" de Prigogine, qui sont à l'origine des processus d'auto-organisation, de l'émergence d'ordres complexes nouveaux.

La comparaison des conséquences de ce postulat avec la réalité physiologique montre que ces fonctions, appelées désormais homéostasie, hétérostasie et téléostasie, correspondent à des structures biochimiques, cytologiques et embryologiques dont les propriétés spécifiques sont en rapport avec les trois propriétés des champs électromagnétiques: l'intensité ou amplitude, la polarisation et la fréquence vibratoire.

Cette conception de l'être vivant en tant que système ouvert, fonctionnant par l'interaction des propriétés de son champ énergétique avec l'environnement, conduit à une nouvelle manière d'expliquer l'évolution et l'auto-organisation biologique. D'autre part, de l'idée de Piaget, selon laquelle les mêmes systèmes auto-régulateurs se retrouvent sur tous les paliers du fonctionnement, depuis le génome jusqu'à la conscience humaine, on peut tirer la conclusion que les termes antagonistes qui définissent les fonctions primordiales constituent aussi, en raison d'une nécessité ontologique, les structures fonctionnelles de la conscience, de la raison humaine qui peut être considérée comme  la forme la plus évoluée de l'auto-organisation biologique. L'interprétation de ces six termes comme thèmes épistémologiques fondamentaux constitue un pas décisif vers un langage transculturel capable de faire comprendre les théories traditionnelles.

L'étude du symbolisme des médecines traditionnelles orientales permet en effet d'établir des homologies  entre ces thèmes épistémologiques et les éléments traditionnels. Cette démonstration des équivalences fait découvrir que, selon la philosophie védique, les éléments (ou thèmes) se regroupent deux par deux pour former trois synergies, trois synthèses de qualités ou de propriétés fonctionnelles: les trois Doshas ou "humeurs" traditionnelles de l'ayurvéda. De la synthèse entre les trois antagonismes et ces trois synergies résulte finalement le "modèle d'intégration fonctionnelle", réunissant sciences et traditions sous la forme d'une théorie fonctionnelle générale des systèmes ouverts. Jusqu'à l'interprétation épistémologique des éléments traditionnels, les développements logiques s'appuyaient toujours sur une argumentation rationnelle basée sur des idées nouvelles, certes, mais d'origine occidentale et scientifique. Ces humeurs, empruntées à une philosophie antique et orientale pour former ce modèle, introduisent par contre  une conception traditionnelles qui paraît mythique et irrationnelle. Une explication rationnelle est cependant possible, si l'on étudie le sens symbolique des thèmes épistémologiques qui forment ces synergies.


Interprétation  des synergies de thèmes (ou Doshas).

Pour comprendre la signification des trois Doshas, il faut se rappeler les nouvelles conceptions de l'organisation biologique et de son évolution par auto-organisation. Il a été  démontré au chapitre   que les conditions de fonctionnement des systèmes ouverts peuvent être représentées par la conjonction des trois antagonismes définissant les fonctions primordiales avec trois processus énergétiques autocatalytiques: la cristallisation, les résonances, et les "structures dissipatives" de Prigogine. Il suffit de comparer les thèmes homologues aux deux éléments qui forment chaque Dosha, pour constater que ces derniers désignent les propriétés fondamentales qui découlent de ces processus énergétiques.

Le principe Kapha correspond à la Détermination qui signifie aussi structure ou mémoire et à la Substantialité ou inertie qui désigne la matière nutritionnelle, donc les substrats en solution. Or les structures agissent par la polarisation de leur champ énergétique sur les molécules en solution, induisant une cristallisation ou, en biologie, des liaisons chimiques de différents types; les deux ne diffèrent en effet que par la complexité du système qui détermine son évolution (entropie positive ou négative) et non pas par la nature du phénomène (la formation de structures). Ce processus correspond à la reproduction invariante qui assure la conservation et la fiabilité du système. Kapha signifie en effet stabilité, fermeté, fiabilité etc. et Tamas, le Guna correspondant, désigne la conservation,  l'involution et la mémorisation.

L'humeur Pitta unit la Continuité, donc l'ordre, au Dynamisme désignant la force ou énergie physique. Signifiant la cohérence ou harmonie des impulsions, elle peut être interprétée comme un processus de résonances ou d'interférences. Ce phénomène d'amplification bien  connu en physique est en biologie à l'origine de toute information ou interaction cohérente. Il compte comme principe fondamental dans plusieurs médecines alternatives. Par amplification, la résonance produit une expansion du  champ énergétique, donc une extension de la sphère d'influence, ce qui induit la croissance. Pitta est en effet décrit par les termes activité, chaleur, évolution, et correspond au Guna Rajas qui est à l'origine de toute transformation.

L'humeur Vata est formée du thème Discontinuité, signifiant la multitude en désordre: le système chaotique, et de l'Indétermination correspondant au hasard. Ces thèmes sont ceux des structures dissipatives de I. Prigogine qui émergent du chaos par suite d'influences aléatoires et qui expliquent donc la thermodynamique irréversible des systèmes ouverts et l'auto-organisation biologique, l'évolution vers des formes plus complexes et l'imagination créatrice. Dans la Tradition, Vata signifie effectivement la mobilité, l'intuition et l'enthousiasme alors que Sattva, celui des trois Gunas qui correspond à Vata est traduit par l'illumination, la manifestation par la connaissance.

Cette interprétation confère à la philosophie védique une actualité surprenant, car elle signifie que les trois Doshas, principes de la manifestation, correspondent, sur le plan physique, à trois phénomènes - cristallisation, résonance, et "structures dissipatives" - qui, selon les conceptions les plus récentes, peuvent expliquer l'organisation biologique. Cette interprétation du MIF présente l'organisation fonctionnelle des systèmes ouverts comme un couplage de trois feedbacks négatifs, les trois fonctions primordiales, avec trois  feedbacks positifs, les trois synergies qui signifient en effet tous des processus autocatalytiques. Ces processus physiques sont en effet à l'origine des propriétés fondamentales de la vie. La cristallisation, ou plutôt la formation analogue de liaisons biochimiques covalentes, permet la reproduction invariante des mêmes structures et par conséquent la conservation des formes biologiques. Les résonances produisent des champs d'interférence, des champs énergétiques ou morphogénétiques, qui dirigent l'activité cohérente et la croissance. Enfin la formation de "structures dissipatives" signifie l'augmentation de la complexité par auto-organisation et  permet l'évolution, l'adaptation et la connaissance.

Les trois Doshas correspondent donc sur le plan physique à trois processus autocatalytiques qui sont  responsables des trois qualités essentielles de la vie: la conservation, l'activité cohérente et l'adaptation. Mais ces processus autocatalytiques sont à l'origine aussi de trois aspects complémentaires qui expliquent le fonctionnement des systèmes ouverts et par conséquent l'organisation biologique: la structure, le champ énergétique et l'auto-organisation. (Fig. 11)

  La structure qui est maintenue par la reproduction invariante des mêmes formes adaptées, sous condition d'un apport de substances adéquates, se manifeste par l'inertie de sa masse ou Substantialité et par la Détermination, la constance  ou invariance des mémoires et programmes qu'elle représente. Elle est donc la cause matérielle de la conservation du système biologique.

Interprétation scientifique

Le champ énergétique ou morphogénétique qui se constitue, comme réseau  continu d'interférences, par résonance avec les énergies en provenance de l'environnement, manifeste aussi bien le Dynamisme que la cohérence ou Continuité du système. Il est la cause efficiente de toute activité dirigée ou cohérente.

L'auto-organisation, l'ordre complexe qui émerge du chaos, comme les "structures dissipatives", grâce à des influences extérieures aléatoires mais cohérentes, qui représentent des  informations, résulte à la fois de la multiplicité ou Discontinuité des parties relativement indépendantes et de l'Indétermination, du potentiel de nouveaux rapports plus complexes que cette multiplicité implique. Elle est, en tant  que pouvoir d'adaptation, la cause finale qui confère aux êtres vivants leur flexibilité ou mobilité et leur capacité d'apprendre et d'innover.

Les trois aspects du système sont complémentaires; ils sont à la fois contraires et inséparables. En effet, chacun d'eux est en relation contradictoire par ses deux facettes qualitatives avec les deux autres aspects; et pourtant ces aspects et leurs six qualités sont indissociables. Ils ne représentent pas des parties composantes mais des manifestations, différentes selon le point de vue de l'observateur seulement, d'une réalité unique, celle du fonctionnement global du système. Ils ne sont donc à vrai dire que des éléments logiques, des catégories de notre raison, c'est-à-dire des principes épistémologiques.

Le schéma (Fig. 11) montre que le "modèle d'intégration fonctionnelle" (MIF) des systèmes ouverts, qui a été initialement déduit des relations des Doshas avec les éléments, peut être interprété de façon parfaitement rationnelle et que ces "humeurs" traditionnelles ne sont finalement pas indispensables pour aboutir à ce modèle, puisque tous les thèmes épistémologiques et leurs relations mutuelles peuvent être déduits de conceptions modernes de l'organisation biologique, qui tiennent compte des propriétés des champs énergétiques et des phénomènes d'auto-organisation. En revanche, la conformité des théories traditionnelles avec les découvertes scientifiques modernes prouve que les anciens possédaient des connaissances fort intéressantes en ce qui concerne les relations globales des systèmes et des phénomènes, des conceptions qui doivent donc être prises au sérieux.

Dans ce contexte, il faut cependant remarquer que ce schéma bidimensionnel n'est pas la seule possibilité de représenter les relations entre les thèmes. On pourrait notamment imaginer les antagonismes comme trois axes perpendiculaires dans une figure à trois dimensions. Il est possible aussi de former d'autres paires de thèmes que les antagonismes et les synergies du modèle. Parmi celles-ci, il faut signaler les niveaux d'énergie de la théorie chinoise des méridiens, qui ont des significations antagonistes par rapport aux Doshas et représentent des diagonales dans le MIF (Fig. 14). Ils jouent sans doute un rôle complémentaire dans l'équilibration du système. Mais à côté de celles-ci il existe d'autres paires de thèmes possibles qui n'ont pas été retenues par la Tradition. Cela peut signifier que ces combinaisons de thèmes ne produisent rien de stable, de manifesté, comme le font les trois synergies formant les Doshas. Elles ne produisent pas de systèmes ouverts viables et manifestés comme l'ensemble "cristallisation - résonance - structures dissipatives". Cette situation est comparable à celle qui existe dans le monde de la physique quantique qui connaît de nombreuses particules dont la plupart sont instables; trois particules par contre sont stables: proton, neutron et électron (1). Il est intéressant de remarquer que les protons et neutrons, qui constituent à eux seuls la quasi totalité de la masse de l'univers, sont formés, selon les théories actuelles, de trois quarks reliés par trois gluons et que ces quarks ne peuvent pas être observés isolément, bien que leur existence soit prouvée indirectement par l'expérimentation. Les quarks représentent plutôt des qualités inséparables de ces particules stables, c'est pourquoi on les a classés par "couleurs" et par "saveurs". Il existe donc une analogie frappante entre le MIF avec ses trois aspects réunis par trois fonctions et ces particules stables avec leurs trois quarks reliés par trois gluons,  qui représentent des qualités et des interactions plutôt que des entités matérielles (2). Se pourrait-il que des considérations épistémologiques conduisent aux mêmes lois générales que les mathématiques, mais par une logique ou un formalisme beaucoup plus directs, comme le stipulait Eddington ?

L'origine épistémologique des expressions quantitatives.

(Paragraphe et schéma modifié et résumé)

Relativité matière-espace-temps

Le modèle systémique est une représentation épistémologique de la relativité matière-espace-temps. Dans la discussion des antagonismes fondamentaux, les correspondances des unités de mesure fondamentales avec les thèmes antagonistes ont été clairement définies. Dans le schéma suivant, les synergies ou propriétés fondamentales sont représentées par les secteurs V, P et K (initiales de Vata, Pitta et Kapha). Les unités de mesure sont leurs rapports inverses.

 

La formule banale V/P * P/K * K/V = 1 représente la corrélation des rapports entre les 3 secteurs. Elle peut être développée de la manière suivante:

P/K = P/V * V/K;       (P/K)2 = (P/V)2  * (V/K)2 = (PV)2 / (K/V)

qui peut s'écrire P/K =  K/P *(PV)2 / (K/V)2

et en remplaçant les rapports par les unités de mesure correspondantes:

 E = m * d2 / t2

Comme d/t est une vitesse, cette formule correspond à la définition de l'énergie cinétique, et si l’on applique la vitesse de la lumière c, on obtient la formule d’Einstein:

E = m * c2

Cette démonstration a les conséquences suivantes:

·      Le modèle est compatible avec les définitions des unités de mesure et avec la théorie de la relativité. Il doit donc être applicable à d’autres théories de la physique.

·      L’ordre des thèmes est ainsi confirmé de manière univoque.

·      Les antagonismes sont des grandeurs inverses et peuvent être exprimés par des logarithmes.

Elle confirme en même temps l'hypothèse du physicien A.S. Eddington, selon qui "...toutes les lois de la nature habituellement considérées comme fondamentales peuvent être entièrement prévues par des considérations épistémologiques" (4). Elle indique aussi les clefs pour une traduction en termes mathématiques du "modèle d'intégration fonctionnelle" et par conséquent pour d'autres vérifications ou applications sur le plan de la physique

Le MIF et la pensée systémique

L'interprétation du MIF sur le plan de la physique ne doit pas être prise pour un nouveau réductionnisme, mais doit être comprise dans le contexte de la pensée systémique. Ce qui permet de réunir tous les systèmes dans une conception globale, ce ne sont pas des significations communes, mais une structure fonctionnelle ou épistémologique commune, selon laquelle les significations sont organisées. Ludwig von Bertalanffy a présenté le problème de la manière suivante:

  "La conception moderne de la réalité, la présente comme un gigantesque ordre hiérarchique composé d'êtres organisés qui mène, par la superposition de nombreux étages, des systèmes physiques et chimiques aux systèmes biologiques et sociologiques. L'unité de la science est obtenue, non pas par une réduction utopique de toutes les sciences à la physique et à la chimie, mais grâce aux uniformités structurelles qui existent entre les différents niveaux de la réalité." (5)

Le MIF représente cette "uniformité structurelle" (qu'il conviendrait plutôt de qualifier de fonctionnelle), commune à tous les niveaux de la hiérarchie des  systèmes, et qui est la base des relations homologiques ou analogiques qui relient les significations, différentes selon les niveaux. Dans cette hiérarchie, chaque système, à n'importe quel niveau, est composé de systèmes de niveau inférieur, qui sont ses parties composantes et qu'il organise, et il est lui-même une partie composante d'un système de niveau supérieur par lequel il est organisé. La réalité émerge donc de la complémentarité entre composition et organisation et chaque système existe par les relations qu'il entretient avec les autres systèmes de tous les niveaux. Cela fait qu'un système comprend tous les niveaux inférieurs dont il est composé, mais qu'il ne peut pas comprendre les niveaux supérieurs dont il est seulement une partie composante. Le MIF est l'expression à la fois des interactions qui relient chaque système aux autres systèmes de tous les niveaux, et du résultat de ces interactions: les aspects manifestés du système.

Les trois types d'interactions ou "ouvertures" du système.

1. Les relations avec les systèmes d'ordre inférieur sont celles de l'apport nécessaire de matière première ou d'énergie. Il s'agit de l'ouverture sur la Matière, qui se confond chez l'être vivant avec la nutrition et le métabolisme, donc avec la fonction homéostasie. Celle-ci, comme toute fonction, peut être orientée dans deux directions antagonistes représentées par l'énergie et la substance. Le métabolisme peut être dirigé dans le sens de l'anabolisme, la formation de structures ou substances par apport d'énergie comme dans la photosynthèse des plantes, ou au contraire dans le sens du catabolisme, la production d'énergie à partir de l'apport de substances ou structures biochimiques complexes, comme chez les animaux.

2. Les relations avec les systèmes de même niveau sont celles des rapports cybernétiques avec l'environnement, des échanges d'actions et d'informations entre le système individuel et la multitude des autres systèmes. Elles doivent être classées dans la fonction d'équilibration concernant l'espace: l'hétérostasie. Cet antagonisme fonctionnel se situe sur le plan physiologique entre l'action cohérente du sujet ou centre et la perception d'informations de l'environnement, de la multiplicité périphérique, ces informations étant considérées ici comme l'expression d'une réaction de l'environnement, donc des autres systèmes, à l'activité du sujet. L'antagonisme unité individuelle - multiplicité périphérique qui définit cette fonction est en effet l'homologue de l'antagonisme action-sensation au niveau physiologique et correspond aux circuits autorégulateurs classiques.

3. Les relations avec les systèmes d'ordre supérieur qui organisent le système, non pas par l'apport d'énergies, mais par celui d'informations, constituent cette fonction appelée téléostasie qui a été définie, comme le temps, par l'antagonisme Détermination-Indétermination. Cette fonction peut être représentée aussi par la complémentarité entre structure et information ou, selon les termes de E. Guillé, par la complémentarité entre support vibratoire et énergies vibratoires. L'information est considérée ici comme  une influence cohérente de l'environnement qui prend une signification et, par conséquent, devient une information par la résonance qu'elle induit avec les supports vibratoires préexistants. Ces informations, en partie aléatoires, imprévues parce qu'elles ne proviennent pas du système lui-même mais de l'ensemble dans lequel il est intégré comme partie composante, constituent donc une "ouverture" sur un niveau d'ordre supérieur par lequel il est organisé. L'Indétermination, le hasard, est en effet, selon les théories actuelles de l'auto-organisation biologique, le vrai moteur de l'évolution qui conduit les systèmes biologiques vers une complexité et un perfectionnement croissants,  ce qui signifie une adadptation, mais aussi une libération de certains déterminismes antérieurs et une progression constante qui mène l'être vivant de l'assujettissement par la Matière vers une indépendance appelée Esprit.

Les trois propriétés ou aspects manifestés du système.

Alors que les trois antagonismes du MIF indiquent des interactions ou ouvertures du système, les trois synergies de thèmes désignent le résultat de ces interactions sous forme de trois propriétés fondamentales des systèmes ouverts et par conséquent de  trois aspects  complémentaires, qui sont indissociables dans la réalité, bien que leur caractère contradictoire ne permette pas à notre entendement d'en saisir plus d'un à la fois.

1. La formation des structures par assimilation de substances adéquates prises dans l'environnement, et par leur assemblage dans le processus de reproduction invariante, assure non seulement la stabilité et la conservation du système mais aussi la fiabilité de son fonctionnement. Toute structure représente en effet une mémoire, qui est l'histoire de sa propre formation comme système ou ensemble fonctionnel. Construite et organisée par les événements du passé, elle représente aussi un ensemble de propriétés, donc de programmes d'action déterminés. Cet aspect structural de l'être vivant est celui qui a retenu l'attention de la biologie moléculaire.

2. Le champ énergétique, maintenu grâce à l'apport continu d'énergies adéquates de l'environnement (principalement celles apportées par les substances nutritives et libérées par le métabolisme), capables d'amplifier par résonance les champs d'interférence associés aux structures préexistantes, est à l'origine de toute transformation ou activité cohérente, donc aussi de la croissance. Mais ces champs énergétiques ne peuvent pas être réduits aux modèles physiques simples, car, à l'instar des structures biologiques dont ils sont complémentaires, ils forment une hiérarchie très complexe de champs et de fréquences. Il vaut donc mieux parler, comme Sheldrake, de champs morphogénétiques. Cette hiérarchie du champ morphogénétique repose sur le fait que le champ de chaque structure subordonnée doit nécessairement être en harmonie avec le champ de l'organisme entier, notamment du point de vue des polarités et des fréquences vibratoires. L'alignement et l'harmonisation des champs partiels par rapport au champ total sont à l'origine du caractère holographique des systèmes vivants, où l'état fonctionnel de la partie reflète l'état fonctionnel de l'organisme entier. Sheldrake démontre que cette propriété holographique du champ morphogénétique explique le mouvement, la croissance et la réparation tissulaire. (6)

3. L'auto-organisation qui résulte de la propriété des systèmes instables de former des structures cohérentes, les "structures dissipatives" de Prigogine, sous les influences minimes mais cohérentes que sont les informations, explique l'adaptation et l'évolution des systèmes biologiques ouverts. Cet aspect du vivant diffère du caractère univoque des activités de type cybernétique par la multiplicité et la variété des réponses possibles aux sollicitations de l'environnement. A la détermination des structures et mémoires, il oppose d'autre part l'Indétermination, le hasard. L'intervention de l'Indétermination signifie l'introduction d'une information nouvelle, imprévue, dans une organisation complexe. Elle n'est pas une simple addition aux mémoires mais exige une réorganisation de l'ensemble des relations entre les informations du système, qui augmente par conséquent sa complexité. L'Indétermination provoque ainsi une mutation, la transformation de la Détermination précédente en une Détermination nouvelle, fondement d'un système nouveau. Le cercle du MIF signifie donc une boucle dans la spirale de l'évolution, une boucle qui représente un stade dans la transformation évolutive du système, et qui cède la place à une autre boucle, à un autre stade, dès que l'effet d'événements aléatoires entre comme nouvelle donnée dans l'organisation informationnelle du système. La propriété d'auto-organisation confère aux systèmes biologiques, à l'adaptation et à la conscience humaine leur qualité flexible, imprévisible, capable d'innovations et de mutations qui, loin d'être accidentelles, résultent de l'utilisation systématique du hasard par les systèmes complexes.

Le MIF est donc une représentation parfaitement cohérente des interactions et des aspects complémentaires des systèmes ouverts, applicable aussi bien aux systèmes physiques qu'aux systèmes biologiques les plus complexes dont la conscience humaine est la forme la plus évoluée. La validité du modèle est universelle parce qu'il se fonde uniquement sur les conditions ontologiques du système qui résident dans son interconnexion avec ces trois niveaux, dont dérivent les notions de matière, d'espace et de temps.

 

Notes bibliographiques.

(1) B. Nicolescu, "Nous, la particule et le monde", p. 92.

(2) ibid. p. 79 et suivantes.

(3) L. von Bertalanffy, "Théorie générale des systèmes", p. 22 et 23.

(4) A.S. Eddington, cité par B. Nicolescu, ibid., p. 37-39.

(5) L. von Bertalanffy, ibid., p. 85.

  (6) R. Sheldrake, "Une nouvelle science de la vie ", chapitre 9