Chapitre VII Principes
philosophiques des
médecines
traditionnellesMédecine
indienne: l'ayurvéda
Origines
L'ayurvéda,
qui signifie
littéralement "science de longue vie", est
considéré comme une
branche des védas, textes sacrés de l'Inde.
Ceux-ci sont au nombre de quatre.
Leur rédaction a été
précédée d'une longue tradition orale.
On estime que leur
origine remonte vers 2000 à 2500 ans avant notre
ère. Les textes classiques les
plus anciens et les
plus importants de l'ayurvéda
qui sont restés conservés, Charaka Samhita
traitant de la médecine
générale et
Sushruta Samhita concernant
la chirurgie, datent d'une époque qui se situe entre le
septième et le
troisième siècle av. J.-C.. Comme ces textes se
réfèrent eux-mêmes à des
textes
antérieurs, on peut estimer que l'apogée de cette
médecine se situe avant le
cinquième siècle av. J.-C., en tout cas avant la
naissance du Bouddha (vers 550
ans av. J.-C.). L'ayurvéda, adopté par le
bouddhisme, suivit son expansion vers
le Tibet, La philosophie du Samkhya.
(1)
L'ayurvéda
est une
application pratique de la philosophie du Samkhya. Cette
médecine, pratiquée
depuis trois millénaires au moins et qui a
influencé toutes les autres médecines
traditionnelles, a prouvé amplement son
efficacité. Ses fondements
philosophiques méritent donc une attention
particulière et des explications
plus détaillées. Le
Samkhya est une
philosophie réaliste: il considère le monde
matériel comme réel, contrairement
aux autres philosophies indiennes importantes, le bouddhisme et
l'hindouisme.
Il explique l'univers par une théorie de la transformation
fondée sur une
analyse subtile de la relation de cause à effet. "Ce qui est
appelé cause
est l'état non manifesté de l'effet et ce qui est
appelé effet est l'état
manifesté de la cause ... car rien ne peut sortir du
néant et rien ne peut
s'évanouir dans le néant." Notre physique est
aussi bâtie sur ce principe
avec ses lois de conservation de l'énergie ou de la
matière. Mais dans le
Samkhya, la portée déterministe de
l'identité de la cause et de l'effet est
atténuée par la distinction entre la cause
matérielle ou constitutive (Upâdâna)
à laquelle elle s'applique, et une autre cause (Nimitta) qui
réunit les causes efficiente,
formelle et finale de la logique aristotélicienne et qui
introduit un élément
extérieur, probabiliste ou indéterministe. Cause
et effet ne sont donc ni
absolument identiques ni absolument dissemblables. Conformément
à ce
principe de l'identité de la cause et de l'effet, le Samkhya
affirme que le
monde ne peut pas être sorti de quelque chose qui
était absolument inexistant
et qu'il est manifesté par une transformation à
partir d'une cause non
manifestée mais réelle. "Le Samkhya affirme que
le monde est réel, qu'il
existe, et qu'il provient de quelque chose qui est réel, qui
existe," mais
à l'état non manifesté, et qui
contient virtuellement toutes les choses. Cela
s'appelle Prakriti, la mère des choses
matérielles. Prakriti,
principe
matériel non manifesté, est défini
comme un état d'équilibre parfait des trois
Gunas: Sattva, Rajas et Tamas. Ces Gunas, qui ne sont
manifestés qu'à l'état de
déséquilibre, lorsque l'un d'eux domine les
autres, sont décrits comme des
substances extrêmement fines. Ils sont
caractérisés par les
propriétés
suivantes:
Le Samkhya explique le monde par une suite de transformations, de passages de cause matérielle à effet manifesté, qui progresse du plus général vers le plus particulier, du plus subtil vers le plus grossier, et non pas en sens inverse. Ceci correspond à la règle de la pensée systémique, non réductionniste, selon laquelle l'ensemble détermine toutes les qualités des parties composantes alors que la somme des propriétés des parties ne suffit pas pour expliquer les propriétés de l'ensemble. Cette suite de transformations apparaît dans le schéma de Nandalal Sinha, reproduit ici (Fig. 5 ) de manière légèrement modifiée et confronté avec les trois niveaux de la connaissance de Ken Wilber. Fig. 5 - Evolution selon le Samkhya
"A
l'origine de la
création, une vibration cosmique
s'élève dans Prakriti, perturbant son
état
d'équilibre, elle libère les Gunas de leur
quiétude. Rajas soudain agit sur
Sattva qu'il manifeste en tant que Mahat". Mahat est
l'équivalent matériel
ou cosmique de Buddhi, la conscience. Elle est la conscience cosmique
et on
l'appelle Mahat pour la distinguer des consciences individuelles, les
Buddhi,
qui sont des aspects partiels de la conscience cosmique. "De
Mahat surgit
Ahamkara: Cogito, je pense, entraîne sum, je suis. Ahamkara
est littéralement
celui qui fait le Moi", l'ego, principe d'identité
personnelle et
d'individuation, il
est la base de
l'égoïsme. "La
transformation
d'Ahamkara est double selon qu'elle est influencée par
Sattva ou par Tamas. Les
modifications sattviques sont les 11 Indriyas", à savoir les
5 Indriyas de
la connaissance, les 5 Indriyas de l'action et de
l'excrétion et Manas, la
conscience. "Les
modifications
tamasiques d'Ahamkara sont les 5 Tanmatras, à savoir le son,
le toucher, la
forme, la saveur et l'odeur. Ce sont des éléments
purs, subtils et simples, la
part métaphysique des atomes ordinaires de
matière. Ce sont des substances
fines." Ces transformations progressent dans le sens des
flèches du
schéma. Ahamkara produit le son, celui-ci,
accompagné toujours d'Ahamkara,
produit le toucher et ainsi de suite. "Les
transformations des Tanmatras sont les éléments
grossiers éther, air, feu, eau,
terre, - les atomes ordinaires de matière, dans lesquels
apparaît pour la
première fois la distinction entre le plaisir, la douleur et
l'indifférence." "Jusqu'à
présent, tout ce monde
objectif est sans intelligence, parce que sa cause, Prakriti, est sans
conscience. Par conséquent il n'existe et ne fonctionne pas
pour son propre
compte. Il doit exister quelqu'un d'autre, de nature
différente, quelque être
conscient, pour le bénéfice duquel (par exemple
pour l'expérience ou la paix)
toute cette activité de Prakriti existe. C'est ainsi que le
Samkhya explique
Purusha. De ces deux, Purusha est le principe de l' Etre, Prakriti le
principe
du Devenir. Purusha existe éternellement, ne devient jamais,
alors que Prakriti
est essentiellement mouvement.... L'expérience de Purusha
consiste à être le
spectateur indifférent des changements qui ont lieu dans
Buddhi." Nandalal
Sinha poursuit ses
explications en abordant d'autres sujets importants du Samkhya, mais
dont la
portée téléologique et
sotériologique n'intéresse pas directement la
présente
étude. Ce qui est important à relever, c'est que,
selon le Samkhya, le monde
manifesté est produit par l'interaction de deux principes
non manifestés, donc
transcendantaux, contraires mais complémentaires, dont l'un,
Prakriti, principe
matériel à l'état potentiel, tient le
rôle de l'objet, et l'autre, principe
conscient inactif et non manifesté, tient le rôle
du sujet. Le monde manifesté
ou créé résulte donc d'un acte de
connaissance. D'autre part, cette genèse de
la réalité évolue en trois
étapes, formant trois niveaux dont chacun est
représenté par une dualité
sujet-objet. La dualité transcendantale (Purusha-Prakriti)
produit l'ordre cosmique (Mahat) et trois significations fondamentales
(les
trois Gunas), qui correspondent au niveau de la connaissance
herméneutique ou
niveau du Mental de Wilber. Cette
nouvelle dualité produit le psychisme et les organes de
l'action et de la
sensation du sujet
individuel
(Indriyas), lesquels, confrontés aux qualités des
éléments grossiers
(Mahabhutas), sont à l'origine de toutes les
représentations des objets
matériels du monde manifesté. Chaque
niveau de Les principes fondamentaux
de la médecine indienne. (2)
Le
Samkhya traite
surtout de questions philosophiques, donc de problèmes
concernant l'origine et
la destinée de l'homme et du monde. Il s'occupe donc
essentiellement de la
relation que nous avons avec le niveau supérieur ou
transcendantal de
l'existence. L'ayurvéda au contraire s'intéresse
seulement aux rapports qui
existent entre les êtres vivants que nous sommes et
l'environnement matériel
dont nous sommes issus. Pour
l'ayurvéda, l'homme
reflète l'organisation de l'univers décrit par le
Samkhya. L'homme, comme
microcosme, présente donc les mêmes niveaux de
l'existence, ou plutôt de la
transformation permanente, que l'univers. Au niveau
inférieur, les éléments
cosmiques marquent la limite entre la matière et le vivant.
Au niveau supérieur
on retrouve un principe ternaire analogue aux trois Gunas. Alors que
les trois
Gunas représentent l'origine unique de l'univers
manifesté, les Tri Doshas,
aussi appelés les trois "humeurs", sont le fondement de
l'unité de
l'être vivant individuel. Entre ces deux niveaux, celui des
éléments et
celui des Doshas,
s'organise la
constitution anatomo-physiologique du corps humain. Les cinq
éléments cosmiques (Mahabhutas).
Selon
le Samkhya, tout
ce qui existe est composé de cinq
éléments présents
simultanément mais dans des
proportions variables. Le même principe s'applique donc aussi au corps humain. Les
éléments éther, air,
feu, eau et terre correspondent, selon le Samkhya, aux cinq impressions
sensorielles: le son, le toucher, la forme, la saveur et l'odeur. Mais
pour
l'ayurvéda ils signifient surtout cinq degrés de
densité croissante de la
matière: subtil, gazeux, clair, liquide et solide.
L'ayurvéda a établi une
liste de dix paires de qualités antagonistes telles que
lourd-léger,
froid-chaud, humide-sec, obtus-aigu etc., qui suffisent pour
caractériser
chaque élément et qui permettent de classer les
substances médicamenteuses
selon les éléments auxquels elles appartiennent
et d'en déduire leurs
propriétés thérapeutiques les plus
générales. Un
élément cosmique
n'est pas une substance qui peut être observée
isolément. Il est toujours
associé aux quatre autres éléments.
L'élément eau par exemple ne signifie pas
la substance eau, mais un état de la matière
similaire à l'eau qui est liquide,
froide, molle, humide etc. Mais l'eau en tant que substance peut
prendre
l'aspect solide de l'élément terre quand elle est
gelée, l'aspect de l'élément
feu quand elle est bouillante et l'aspect de
l'élément air ou éther quand elle
s'évapore. L'élément cosmique de
l'ayurvéda signifie donc un état qualitatif de
la matière brute, état qui est reconnaissable
directement par nos sens. Il correspond
au niveau de l'expérience sensorielle immédiate
et n'a pas de signification
fonctionnelle en lui-même; mais il en prend une par sa
participation au système
fonctionnel gobal que constituent les Tri Doshas. Les
Tri Doshas.
La
quintessence de
l'ayurvéda se trouve réunie dans les principes
des Tri Doshas, les trois
"humeurs" Vata, Pitta et Kapha. L'ayurvéda
définit la santé par un
rapport harmonieux, un équilibre parfait entre Vata, Pitta
et Kapha et une
maladie résulte d'une perturbation de cet
équilibre. On
les appelle des
humeurs parce que la tradition indienne les traite comme des substances
très
subtiles. Cela peut prêter à confusion, car elles
ne correspondent à aucune
entité anatomo-physiologique. Certains auteurs occidentaux
les considèrent donc
comme des forces ou principes dynamiques, ce qui n'est pas plus
heureux, car
les Tri Doshas ne peuvent pas être réduits
à quelque phénomène physique
mesurable, étant de nature essentiellement qualitative et
signifiante. Il
faudrait les définir comme des états qualitatifs
ou fonctionnels
complémentaires des systèmes vivants, qui
constituent un équilibre dynamique à
l'état de santé, mais qui sont en
déséquilibre dans la maladie. Les humeurs ne
peuvent pas être observées isolément
quand elles sont en équilibre, mais dans
les états perturbés, une humeur peut se
manifester lorsqu'elle devient
prédominante par rapport aux deux autres. La
médecine indienne décrit les trois
humeurs comme des substances subtiles. Comme toute substance elles se
composent
en effet d'éléments cosmiques. Mais à
la différence des substances concrètes,
qui contiennent toujours tous les cinq éléments
réunis dans des proportions
variables, chaque humeur n'en contient que deux. Cette correspondance
des trois
humeurs avec les cinq éléments est
très précise et jouera un rôle clef
dans
l'interprétation des théories traditionnelles: Ether et Air forment
Vata.
Feu et un aspect
de
l'eau forment Pitta.
Eau et Terre forment
Kapha. (3) La
théorie des Tri
Doshas est le principe de base du diagnostic et du traitement dans
l'ayurvéda
où elle représente le principe
d'intégration des systèmes vivants que l'on
retrouve nécessairement à tous les niveaux de
l'organisme et qui implique donc
aussi bien le niveau matériel des
éléments grossiers que le niveau
suprême du
psychisme. Une "humeur" ne peut donc pas être
définie de manière
claire et simple, elle peut seulement être décrite
par des propriétés analogues
tirées de tous les niveaux. Elle possède des
signes qualitatifs et des
propriétés physiologiques, cliniques,
pathologiques et psychologiques. Il
suffira cependant de les esquisser ici par quelques mots-clefs
concernant les
qualités sensorielles, les propriétés
fonctionnelles et les expressions
psychologiques les plus importantes, pour ne pas surcharger inutilement
cet
exposé. Vata
est sec, rafraîchissant,
léger, subtil et pénétrant, mobile,
clair et
relâché. Ses éléments
éther et air
lui donnent un caractère subtil, variable,
imprévisible
et instable. Vata
correspond à la respiration, dans le sens de prana, le
souffle
vital et
spirituel. Il est à l'origine
de la
sensibilité et de la mobilité, de l'intuition et
de la motivation ou
impulsivité. Il donne l'enthousiasme, l'élan
vital mais en excès, il provoque
l'inconstance, le doute et la jalousie. Pitta est chaud, aigu, mouvant, liquide
et
visqueux. L'élément feu lui confère un
caractère dynamique et brûlant. L'aspect
de l'eau qu'il contient concerne la propriété
liquide, visqueuse et liante.
Pitta correspond à l'énergie digestive et
métabolique. Il est responsable de
toutes les transformations et il confère la force
corporelle, le lustre,
l'intelligence et le courage. A l'excès, il porte
à la colère et à la haine. Kapha est froid, humide, lourd, lent,
stable et dense. Les éléments terre et eau lui
donnent son caractère matériel
lourd et inerte. Kapha correspond en effet à la
stabilité et à la fermeté du
corps, à sa résistance et à sa force.
Il est responsable de la qualité
de la constitution, des muscles, du squelette
et du lustre en général. Kapha assure la
fermeté de caractère, la fiabilité et
l'endurance. En excès il porte à
l'impassibilité et à l'indifférence. Le
corps physique: les 7 Dhatus, les 13
Srotas et Agni.
Il
suffit de signaler
très brièvement l'existence de ces
représentations physiologiques et
anatomiques de la médecine indienne, car elles
n'intéressent pas directement
cette étude qui s'occupe seulement du niveau de
l'intégration fonctionnelle
globale. Les
sept Dhatus
représentent sept tissus corporels ou
éléments constitutifs biologiques. Ce
sont le plasma ou chyle, le sang, la chair, le tissu adipeux, l'os, la
moelle
(comprenant la moelle osseuse, la moelle rachidienne et le cerveau) et
la
semence. Cet ordre de succession des tissus correspond aux
transformations que
subit un aliment ou un médicament dans le processus
d'assimilation. Les
treize Srotas sont
des canaux permettant l'absorption, les échanges et
l'excrétion. Il y en a
trois pour l'absorption de l'air, de l'eau et
des aliments solides, un pour chacun des sept Dhatus et trois pour
l'excrétion
de l'urine, des selles et de la sueur. Enfin
Agni est le feu
vital. Il règle la digestion et le métabolisme,
mais il assure aussi
l'épanouissement en général de
l'être vivant. Le
corps subtil: les Nadis, les Chakras et
Prana Vayu.
L'ayurvéda
ne s'occupe
pas directement du corps subtil, celui-ci n'appartient ni au niveau
empirique
ni au niveau fonctionnel où se situe cette
médecine. Cette doctrine appartient
au yoga et aux pratiques tantriques du bouddhisme mahayana,
où elle représente
la relation de l'homme avec les niveaux transcendantaux. Elle se situe
donc au
niveau de la connaissance symbolique ou paradoxale. Selon
différents auteurs,
il existe cependant un lien direct entre ce niveau et le principe Vata. Diagnostic
et thérapeutique.
Selon les textes les plus anciens, le diagnostic était basé sur une investigation très détaillée. Outre l'interrogatoire du malade, celle-ci comprenait un examen par l'inspection, la palpation, l'auscultation et par l'olfaction (des excrétions). Les traitements de l'ayurvéda comprennent d'abord des prescriptions concernant l'alimentation et le mode de vie. A cela s'ajoutent des méthodes destinées à provoquer des éliminations telles que la sudation, la vomification, la purgation, le traitement nasal et la saignée. Enfin, l'ayurvéda est connu surtout pour ses remèdes complexes confectionnés avec des plantes et d'autres substances naturelles. Pour nous occidentaux, le plus intéressant est cette expérience millénaire de l'ayurvéda en phytothérapie. L'activité thérapeutique d'une plante est déduite principalement de ses qualités sensorielles, en particulier de sa saveur, qui indiquent les éléments prédominants et par conséquent l'action de la plante sur l'équilibre global de l'organisme représenté par la complémentarité des trois Doshas. Mais la spécification par les saveurs (Rasa) n'indique que l'action globale. La matière médicale décrit pour chaque plante des effets physiologiques plus spécifiques: Virya précise le pouvoir stimulant ou apaisant, Vipaka signifie un effet métabolique particulier après la digestion, chaque plante agit sur des tissus ou Dhatus déterminés, enfin Prabhava désigne des effets intenses spécifiques correspondant à nos effets pharmacologiques proprement dits. Tout ce savoir traditionnel est donc aussi vaste que précis, mais il n'est utilisable que pour celui qui sait poser un diagnostic selon les règles de l'ayurvéda et surtout selon le système des trois Doshas. L'importance et la signification de ces règles diagnostiques et thérapeutiques seront exposés dans l'annexe. Médecine
tibétaine
bouddhique.
Origines.
Dès
le quatrième siècle
av. J.-C., l'ayurvéda devint une médecine
bouddhique en Inde et se répandit
avec le bouddhisme dans tout l'est et le sud asiatique. Le Tibet
cependant
resta longtemps attaché à sa tradition
Bön et sa médecine était surtout
basée
sur des pratiques chamanistes. Ce pays était donc depuis
longtemps déjà entouré
de nations bouddhistes lorsqu'au septième siècle,
il devint une puissance
militaire. Le roi Songtsen Gampo se convertit alors au bouddhisme et
décida
d'élever le Tibet au niveau culturel de ses voisins. Il fit établir
un alphabet dérivé de
l'écriture sanscrite et les textes indiens
commencèrent à être traduits
systématiquement
en tibétain. Ces traductions se poursuivirent de
façon méthodique pendant près
d'un millénaire, constituant le Tangyur, recueil du canon classique
tibétain. Ainsi le Tibet sut
conserver tout le savoir de l'Inde ancienne dont presque tous les
textes
originaux disparurent à l'époque de la domination
musulmane aux quinzième et
seizième siècles. Le Tangyur constitue un
trésor culturel comparable seulement
à ce que devait être la bibliothèque
d'Alexandrie avant sa destruction par les
Romains, mais à la différence de celle-ci, il a
pu être préservé, même
après
que Le
roi Songtsen Gampo ne
se contenta pas de faire traduire les textes concernant la
médecine. Il fit
venir des médecins de Perse, de Chine et de l'Inde. Il
convoqua une première
conférence médicale internationale où
chacun apporta un texte important qui fut
traduit, et ils composèrent ainsi un nouveau
traité. Un médecin perse, du nom
de Galenos, resta même comme médecin à
la cour royale. La médecine tibétaine
est donc fondée sur la tradition indienne, mais elle
contient des apports venus
de la tradition chamaniste, de la médecine perse d'origine
hippocratique et
surtout de la médecine chinoise. Du Samkhya au bouddhisme.
La
médecine tibétaine
dérive de l'ayurvéda bouddhique. La
différence entre le Samkhya et la
phénoménologie bouddhique, l'Abhidharma, porte
sur les questions de l'existence
du sujet connaisseur et de la réalité de l'objet
connu. Alors que le Samkhya
affirme que les deux sont réels, le bouddhisme
considère l'esprit individuel
(Buddhi) et le Moi (Ahamkara) comme une illusion et la connaissance que
nous
avons du monde devient un ensemble d'agrégats (les cinq
Skandhas) qui se
constituent autour de cette illusion afin de l'accentuer. Le bouddhisme
ne
réfute pas la réalité du monde de
façon absolue, mais son existence est
relativisée, puisqu'elle dépend de l'illusion que
nous avons d'un Moi
connaisseur. Le monde n'existe donc pas en soi mais il fonctionne, et
il
fonctionne tant que l'homme ne fait pas l'expérience de sa
vraie nature qui se
situe au-delà du manifesté. Une étude
approfondie faite par un auteur indien,
démontre que la différence entre le Samkhya et
l'Abhidharma bouddhique n'est
pas aussi fondamentale qu'elle peut paraître, les deux
philosophies ont au
contraire des notions ontologiques importantes en commun, qui les
distinguent
des philosophies judéo-chrétiennes. (4) Dès son origine, il y eut un lien fondamental entre le bouddhisme et la médecine. Bouddha connaissait parfaitement l'ayurvéda et il exposa sa doctrine, le Dharma ou enseignement des Quatre Nobles Vérités, comme on enseignait aux médecins les principes de l'examen et du traitement du malade. Le bouddhisme mahayana influença profondément l'ayurvéda par sa compassion, qui motivait désormais la pratique et la conduite éthique de la médecine: célibat, connaissances approfondies, charité, impartialité et paix étaient exigés du médecin. Cette science était donc pratiquement réservée aux moines et la médecine devint l'un des cinq sujets majeurs qu'un moine devait étudier et maîtriser Tous les grands maîtres du bouddhisme mahayana étaient aussi de grands médecins. Cette tradition monastique fut poursuivie dans la médecine tibétaine jusqu'à nos jours. (5) Théories fondamentales de la
médecine tibétaine. (6)
Les
trois humeurs ou trois
"défauts".
Pour
le bouddhisme,
l'univers est caractérisé par son impermanence.
Toute chose n'est qu'un aspect
momentané dans un flux continu
d'événements et cette impermanence produit la
souffrance. Mais Bouddha enseigna que la cause immanente de toute
souffrance,
c'est l'Ego qui se manifeste sous forme de confusion, d'ignorance ou
d'illusions à propos de la vraie nature de notre Etre. Ceci provoque
à son tour l'attachement,
la jalousie et le désir d'une part, la haine, l'agression et
l'aversion d'autre
part. Ces "trois poisons": l'ignorance (gTi-mug), l'attachement
('Dod-chags) et la colère (Zhe-sdang) produisent "trois
défauts"
physiques ou les trois "humeurs" qui sont respectivement le phlegme
(Bad-kan), le vent (rLung) et la bile (mKhris-pa). Ces trois humeurs
sont les
équivalents exacts des principes fonctionnels Kapha, Vata et
Pitta de la
médecine indienne d'inspiration védique. Elles
ont en effet les mêmes
significations fonctionnelles, les mêmes correspondances
organiques et se
retrouvent à tous les niveaux d'organisation de
l'être vivant. Les
cinq éléments ou "énergies
cosmo-physiques".
Comme
dans l'ayurvéda,
les trois humeurs sont constituées par les
éléments cosmiques. Mais les
médecins tibétains précisent que
ceux-ci ne sont pas des substances et ils
préfèrent les traduire par les expressions
"énergie cosmo-physique"
ou "fonction énergétique". Ces
énergies sont cependant définies par
des qualités physiques comme dans la médecine
indienne. Mais à la différence de
celle-ci, seuls quatre des cinq éléments
constituent le corps physique et ses
trois humeurs. Terre et eau forment le phlegme, le feu produit la bile
et l'air
le vent. Le cinquième élément
appelé espace est dit omnipénétrant;
aucune saveur
ou propriété physique ne lui est
attribuée. Le corps physique,
diagnostic et
thérapeutique.
Comme
pour l'ayurvéda
(et selon la théorie de la causalité du Samkhya),
la maladie résulte de deux
ordres de causes: la cause primordiale, immanente ou constitutive, qui
résulte
du déséquilibre dynamique des trois humeurs et
des éléments qui les composent,
et les causes immédiates et efficientes qui sont de quatre
sortes:
l'alimentation déséquilibrée, le
comportement inadéquat, les influences
climatiques et les incidences nocives. - Les conceptions
anatomo-physiologiques
dérivent également de la médecine
indienne. On retrouve en particulier les sept
tissus ou constituants corporels (Dhatus) et les trois
excrétions: selles,
urines et sueurs, qui jouent un rôle dans le diagnostic.
Celui-ci est cependant
perfectionné par les méthodes importantes que
sont l'examen de la langue et la
palpation du pouls, qui se pratiquent comme dans la médecine
chinoise mais sont
interprétés selon la théorie des trois
humeurs. L'analyse de l'urine, par
contre, serait d'origine spécifiquement
tibétaine. - Les traitements sont
également prescrits selon les principes de la
médecine indienne et de ses trois
humeurs. Mais aux thérapeutiques provenant de
l'ayurvéda s'ajoutent des
méthodes empruntées à la
médecine chinoise, notamment la moxibustion ou
cautérisation de certains points d'acupuncture. La
matière médicale indienne a
d'autre part été complétée
et remaniée afin d'inclure le plantes de la flore
himalayenne et sans doute aussi des substances de la
pharmacopée chinoise. Le
corps subtil.
La
médecine tantrique
pratiquée au Tibet se situe entre la pratique spirituelle,
le Dharma, et la
pratique médicale proprement dite. Elle est
réservée aux moines pratiquant la
discipline tantrique. Le corps subtil doit par conséquent
être considéré comme
le lien qui unit le corps physique au niveau spirituel ou transcendantal. Le corps
subtil comprend
trois canaux principaux appelés canaux de genèse,
parce qu'ils contiennent le
principe vital permanent dans le cycle des renaissances. Chacun
correspond de
nouveau à l'un de ces trois principes que l'on retrouve
à tous les niveaux dans
le bouddhisme. A partir de ces trois canaux principaux se
développe un système
complexe de canaux secondaires ou de connexions. Ils sont
reliés à cinq chakras
au lieu des sept de la tradition indienne. Conclusion.
Les principes philosophiques de la médecine tibétaine peuvent être assimilés à ceux de la médecine indienne. Dans la pratique clinique, diagnostique ou thérapeutique, il y a cependant des différences importantes qui font de la médecine tibétaine une tradition et une science bien distincte qui, contrairement à la médecine indienne, n'a jamais connu de déclin et a continué à évoluer et à se développer par la pratique. L'intérêt pour nous de la médecine tibétaine réside dans sa matière médicale et dans le fait qu'elle a conservé intégralement les textes qui sont à l'origine de sa tradition. Médecine
chinoise.
Origines.
En
Chine, les débuts de
la civilisation se situent, comme pour l'Egypte, L'enseignement
de
Confucius était une doctrine régissant l'ordre
social et moral selon l'héritage
spirituel et culturel de La tradition attribue le
premier texte
classique de la médecine chinoise , le Huang Di Nei Jing, au
légendaire Empereur
Jaune, qui aurait vécu trois millénaires avant
notre ère. Le respect absolu des
traditions qu'exigeaient les conventions confucéennnes
admettait difficilement
les idées nouvelles. Par conséquent toute
découverte en médecine ne put être
publiée que dans des textes que l'on attribuait à
des auteurs ayant vécu aux
époques légendaires qui
précédèrent celle de Confucius et de
Lao-tseu. Selon
les auteurs contemporains (8), le Nei Jing aurait
été composé entre le
septième
et le troisième siècle de notre ère;
les commentaires ultérieurs les plus
importants et les plus cités sont le Su Wen apparu au
deuxième et le Ling Shu
au onzième siècle de notre ère. On ne
peut donc pas prétendre que la médecine
chinoise est la plus ancienne de l'histoire. Par la fameuse route de la
soie, La philosophie du Tao.
Le
taoïsme est une
sagesse intuitive, symbolique et synthétique. L'esprit et la
pensée chinoises
sont en effet très différents de notre langage
occidental moderne et de notre
logique analytique. Le mot classique chinois et le pictogramme ou
caractère
écrit qui le représente, sont des symboles
évocateurs d'une quantité de
significations, d'images, de qualités et
d'émotions provenant des différents
niveaux de l'expérience que nous pouvons avoir de la nature.
C'est pourquoi la
traduction de textes poétiques ou philosophiques chinois est
si difficile,
voire impossible. Un mot chinois peut seulement être
décrit par une énumération
de termes analogues de notre langage, dont les significations sont
très
précises et limitatives. La
philosophie taoïste
est basée sur la contemplation de la nature et de ses
transformations
cycliques. L'univers est éprouvé comme une suite
de mutations évoluant selon
des cycles qui se répètent. Ces transformations
ne sont pas causées par quelque
force extérieure mais surviennent spontanément
par suite des relations entre
deux principes opposés, le Yin et le Yang, qui sont
à la fois contraires et
complémentaires. Tous les phénomènes
apparaissent comme des phases transitoires
dans ce processus de métamorphoses cycliques, où
sont impliqués ces deux
principes comme deux polarités
indissociables. Dans son évolution et son fonctionnement,
toute chose comporte
donc nécessairement un aspect Yin et un aspect Yang. Yin
et Yang désignaient
à l'origine les deux faces, ombragée ou
ensoleillée, de la montagne. La lumière
du ciel et le soleil brûlant
sont Yang,
l'ombre rafraîchissante et la terre nourricière
sont Yin. Le Yang est le
principe actif, dynamique, chaud, fort et masculin. Le Yin est
réceptif,
inerte, froid, faible et féminin. Le Yang correspond au
sujet agissant et à
l'esprit, le Yin à l'objet passif et à la
matière. La philosophie taoïste
insiste sur la complémentarité de tous les
aspects contradictoires de la
nature. Yin et Yang symbolisent tous ces principes contraires mais
complémentaires où l'un ne peut être
défini que par son opposition à l'autre.
Ils correspondent à la logique de l'antagonisme de Lupasco
qui a été présentée
et appliquée dans la première partie de cet
essai. Cette complémentarité des
contraires reste difficile à comprendre pour les
Occidentaux, dont la pensée
reste profondément ancrée dans la logique
grecque, aristotélicienne ou
chrétienne, influencée par le dualisme de
l'exclusion des contraires d'origine
mazdéenne ou manichéenne, dont dérive
le principe de la contradiction exclue et
du tiers exclu. Dans la logique chinoise, aucune qualité ne
peut être affirmée
comme une vérité absolue, car elle n'est jamais
qu'une phase dans le processus
cyclique de la métamorphose, où elle coexiste en
alternance avec la phase
contraire. Le bien ne peut être défini que par
opposition au mal et le mal
n'existe que par rapport au bien, leur affirmation ne peut donc
être qu'une
vérité relative. La seule
réalité absolue réside dans l'union
mystique et
paradoxale des principes contraires, du Yin et du Yang. Cette
réalité ultime
transcendante, non manifestée mais origine de la
manifestation, est le Tao. Selon
Lao-tseu, le un
engendre le deux, le deux engendre le trois, et le trois engendre les
dix mille
choses. La philosophie s'intéresse surtout au deux, au Yin
et au Yang, dont
l'union paradoxale conduit au Tao transcendant. Pour la
médecine par contre,
Yin et Yang représentent l'antagonisme primordial qui,
à travers un principe
ternaire, fait fonctionner la réalité
manifestée: l'être vivant. Théories fondamentales de la
médecine chinoise. (7)
Théorie
du Yin-Yang.
Pour
la médecine
traditionnelle chinoise, le corps humain, comme tout autre
phénomène naturel,
est un processus de métamorphoses perpétuelles.
Dans cette activité de
transformation, le Yin constitue la base matérielle de toute
fonction et
représente aussi la réserve d'énergie.
A l'inverse, le Yang signifie l'activité
physiologique ou énergétique effective, qui
maintient l'essence Yin en la
renouvelant continuellement. La complémentarité
des deux principes opposés est
ainsi à l'origine de la vie. Par conséquent, la
santé est définie par
l'équilibre harmonieux entre le Yin et le Yang et la maladie
apparaît
lorsqu'une cause de maladie provoque un
déséquilibre. Il existe donc des
maladies Yang, où l'activité Yang est excessive
et la base Yin insuffisante, et
des maladies Yin, lorsque l'inertie Yin prédomine ou que
l'énergie Yang est
insuffisante. La structure corporelle elle-même est soumise
à la loi du
Yin-Yang. L'homme est situé entre le ciel et la terre, des
deux il tient son
énergie. Le ciel étant Yang, la partie
supérieure de son corps, qui en reçoit
l'énergie, est Yang; et la terre étant Yin, la
partie inférieure du corps, qui
en reçoit
l'énergie, est Yin. Mais
toutes les partie du corps et toutes leurs subdivisions
ultérieures sont
elles-mêmes soumises à cette polarisation entre le
Yin et le Yang. Ainsi la partie
supérieure, Yang du corps comprend le thorax qui est Yang
par rapport à
l'abdomen mais Yin par rapport à la tête. Le
thorax est donc le Yin dans le
Yang et la tête le Yang dans le Yang. Théorie des cinq
éléments.
La médecine chinoise est fondée sur une théorie des cinq éléments, comme l'ayurvéda. Selon certains auteurs, celle-ci proviendrait d'ailleurs de l'Inde (8), selon d'autres, les éléments auraient déjà été mentionnés par des textes attribués au deuxième millénaire avant notre ère (9). Quoiqu'il en soit, il y a une analogie entre les deux théories, mais aussi des différences considérables. Dans la pensée chinoise, un élément ne représente pas seulement des propriétés physiques et des qualités sensorielles; il a un sens hautement symbolique qui embrasse tous les niveaux de la connaissance rationnelle. Les deux tableaux (Fig. 6) reproduits du livre de B. Auteroche et P. Navailh, réunissent les significations les plus importantes des cinq éléments dans la nature en général et dans la médecine en particulier. On peut constater que les éléments expliquent à la fois l'univers, l'espace et le temps, des qualités sensorielles, des propriétés fonctionnelles et des émotions psychiques. Fig.6 - Les significations analogiques des éléments Mais
l'application des éléments à l'homme
et à la médecine correspond à un
ensemble
fonctionnel plus restreint et plus cohérent. A
vrai dire, la médecine
traditionnelle chinoise ne parle pas de cinq
éléments mais de cinq
"mouvements". Les phénomènes biologiques ont
été expliqués à
l'époque
tardive du néo-confucianisme par des cycles fonctionnels
où les éléments constituent
des étapes ou phases de la transformation. Cette
théorie distingue ainsi deux
cycles physiologiques (de production et de domination) et deux cycles
pathologiques (d'agression et de contre-domination). Ces relations ou
cycles
des cinq éléments jouent un rôle
considérable dans le diagnostic et le
traitement, surtout pour certaines écoles d'acupuncture
implantées en Occident.
En Chine par contre, la théorie des relations cycliques des
cinq éléments n'est
plus enseignée dans les écoles de
médecine traditionnelle. Elle a été
abandonnée non seulement pour des raisons
idéologiques, mais aussi pour des
raisons pratiques. On lui reproche en effet de réduire les
rapports complexes
des phénomènes biologiques à des
formules arbitraires. L'application stricte et
sans discrimination de ces théories conduirait à
des situations qui ne
correspondent pas aux réalités physiologiques et
pathologiques (11). Mais
même si la théorie de ces cycles
des éléments peut être
rejetée en raison de sa simplification
outrancière et rigide
de la physiologie, le symbolisme exprimé par ces
éléments constitue cependant
un enrichissement inestimable de la connaissance systémique
et fonctionnelle de
l'organisation biologique, car cette pensée analogique
permet de dévoiler les
relations qui existent entre différents niveaux
d'intégration de la complexité
biologique. A chaque élément chinois correspond
en effet:
Toutes
les conceptions
et théories de la médecine chinoise se
réfèrent par conséquent à
ces
éléments
ou phases de la métamorphose. Dans les pages suivantes, le
sens
symbolique
attribué par la médecine chinoise aux organes ou
tissus
corporels sera mis en
relief de manière aussi concise que possible. A travers ce
symbolisme, les
éléments peuvent être compris comme des
propriétés ou conditions fonctionnelles
fondamentales des systèmes biologiques, qui correspondent
à un niveau de
l'organisation fonctionnelle globale, transcendant celui de
l'observation
expérimentale des phénomènes
matériels.
Cependant toute référence aux
connaissances physiologiques et anatomiques occidentales doit
être évitée. Il
faut se garder en effet de faire une comparaison entre les conceptions
scientifiques et celles de la médecine traditionnelle
chinoise,
car, pour
celle-ci, l'organe lui-même devient le symbole d'un mouvement
de
cet ensemble fonctionnel
que constitue le corps humain, alors que pour la médecine
scientifique,
l'organe est une pièce à considérer
isolément et dont les relations avec les
autres parties de l'organisme ne peuvent être
expliquées que
par des structures et interactions
biochimiques. Théorie du Qi, du sang et
des liquides organiques.
Le
Qi, le sang (Xue) et
les liquides organiques (Jin Ye) servent de base matérielle
aux structures et
au fonctionnement des organes et viscères. Ces trois
principes sont comparables
aux trois humeurs des médecines indienne et
tibétaine. Le
Qi est un terme
chinois intraduisible, que l'on décrit habituellement par
les mots fonction,
activité, énergie ou souffle. Il correspond
à l'humeur indienne Vata ou au
"vent" de la médecine tibétaine. La meilleure
expression pour
traduire Qi est le mot fonction, si l'on donne à ce terme un
sens très général
qui englobe les énergies physiques, les informations et les
structures
porteuses auxquelles toute fonction est nécessairement
liée. La médecine
chinoise donne en effet des noms différents au Qi,
précisément selon que l'un
ou l'autre de ces divers aspects fonctionnels est envisagé.
Mais elle considère
le Qi comme un principe matériel et non pas spirituel,
puisqu'il
"circule" dans les vaisseaux, les méridiens et d'autres
structures de
l'organisme. Par souci de clarté, les différents
Qi de l'énergétique chinoise
ne seront pas énumérés ici. Leur sens
fonctionnel sera exposé au chapitre . Xue
ne correspond qu'en
partie au sang dans le sens physiologique occidental. Selon la
médecine
chinoise, le sang est produit par "l'essence des aliments" qui
provient de l'estomac et de la rate et qui est
transformée par l'énergie du
poumon et du coeur. Le sang a surtout un
rôle métabolique. Il fournit l'énergie
du métabolisme à tous les organes du
corps; celui-ci lui doit donc son dynamisme. Le sang devient ainsi le
vecteur
de la force physique et aussi de l'activité mentale. Il a
par conséquent une
signification analogue au Pitta de l'ayurvéda et
à la bile de la médecine tibétaine. Jin
Ye, les liquides
organiques, comprennent la totalité des liquides
physiologiques normaux du
corps. On distingue le Jin qui signifie les
sérosités claires, et le Ye qui
désigne les sécrétions troubles et
visqueuses, aussi bien celles qui lubrifient
les articulations que les substances plus épaisses
constituant la moelle
osseuse ou rachidienne et le cerveau. Ces liquides et substances ont
les
propriétés de Kapha ou du phlegme
tibétain. La
théorie du Qi-Xue-Jin
Ye est donc une théorie des humeurs corporelles comparable à celles de
l'Inde et du Tibet. Mais son rôle
dans la médecine chinoise est moins important. Théorie des méridiens
d'acupuncture.
Les
méridiens
d'acupuncture constituent pour les Chinois un système de
communication réglant
les relations entre les différentes
parties du corps. Selon les explications données au chapitre , ils
représentent les projections
sur la surface corporelle
des réseaux de la substance
fondamentale qui assure la régulation globale fondamentale
de l'organisme. Des précisions
sur cette méthode thérapeutique
sont données dans l'annexe. Les relations de ces
méridiens entre eux et leurs
correspondances avec les éléments et les organes
jouent un rôle fondamental
dans la représentation du fonctionnement global de
l'organisme et par
conséquent pour les règles
thérapeutiques non seulement en acupuncture mais
aussi en phytothérapie chinoise. Le
système d'acupuncture
comporte douze méridiens principaux de chaque
côté du corps: - Il
existe six méridiens Yin qui dirigent l'énergie
Yin de bas en haut. Chacun d'eux correspond à un organe.
Trois méridiens Yin
partent du pied et montent à l'organe correspondant dans le
tronc. Trois autres
méridiens Yin montent du tronc à la main (l'homme
étant toujours représenté les
bras levés). - Au niveau des organes du tronc, chaque
méridien Yin venant du
pied est couplé à un méridien Yin
allant à la main, formant ainsi un des trois
"niveaux d'énergie Yin": Tai Yin, Shao Yin, Jue Yin. -
Il existe six
méridiens Yang qui dirigent l'énergie Yang de
haut en bas. A chacun d'eux est
attribué un viscère. Trois méridiens
Yang descendent de la main vers la tête.
Trois autres méridiens Yang descendent de la tête
au pied. - Au niveau de la
tête, chaque méridien Yang venant de la main est
couplé à un méridien Yang
allant au pied, formant ainsi un des trois "niveaux
d'énergie Yang":
Yang Ming, Tai Yang, Shao Yang. - Chaque méridien Yin est couplé à un méridien Yang, soit au niveau du pied, soit au niveau de la main. Chacun des couples Yin-Yang ainsi formé correspond à un élément. Fig.7 - Système des méridiens d'acupuncture Les
relations entre ces
méridiens principaux sont résumés dans
le tableau (Fig. 7), qui montre que de
leurs différents couplages résultent trois grands
orbes. On constatera qu'il
existe six couplages Yin-Yang qui correspondent à six
éléments . D'autre part
il faut signaler que les Chinois ne désignent pas le
méridien du nom de
l'organe ou du viscère qui lui est attribué,
comme cela est
d'usage dans les écoles d'acupuncture
occidentales, mais par
le niveau
d'énergie auquel il appartient. Le méridien du
Poumon, par exemple, est appelé
Tai Yin de la main et le méridien de l'Estomac Yang Ming du
pied. Cela signifie
que, pour les Chinois, les relations
fonctionnelles et énergétiques
sont plus importantes que les
correspondances anatomiques. Ces constatations sont importantes pour
comprendre
la conception globale de l'intégration fonctionnelle en
médecine chinoise. Théorie des
organes et des viscères.
Cette
théorie est aussi
importante que celle
des méridiens
d'acupuncture. Elle combine le symbolisme de la théorie des
éléments avec les
réalités physiologiques, métaboliques
et fonctionnelles des organes et des
viscères. Les significations fonctionnelles que la
médecine chinoise prête aux
organes, aux viscères et aux autres tissus ou organes
sensoriels qui leur sont
attribués, sont d'une importance capitale. Elles donneront
la clef pour une
interprétation systémique et rationnelle des
médecines traditionnelles. Le
mot Zang désigne les
organes internes "pleins" ou parenchymateux: foie, coeur, rate,
poumon et rein. Fu signifie les organes "creux" ou viscères:
vésicule
biliaire, intestin grêle, estomac, gros intestin et vessie.
Conformément à leur
rattachement aux méridiens, chaque
organe Zang est couplé à un
viscère Fu. Les organes Zang sont Yin, ils
constituent la base matérielle et les réserves
énergétiques d'un fonctionnement
représenté par un élément.
Les viscères Fu couplés sont Yang et expriment
l'activité physiologique effective de ce même
fonctionnement. Chaque élément
signifie donc un état de fonctionnement qui est
représenté par un organe et le
viscère couplé, rattachés
eux-mêmes à des méridiens Yin et Yang.
Ce
fonctionnement est d'autre part symbolisé par un des cinq
organes sensoriels ou
par l'ouverture corporelle correspondante et se manifeste par
l'état d'un tissu
et par une émotion qui sont en relation avec cet
élément. Comme
le système des
méridiens comprend six couples de méridiens,
alors que les éléments et les
organes sont au nombre de cinq, la médecine chinoise a
introduit un organe et
un viscère "curieux", désignés par les
termes de "Maître du
Coeur" (M.C.) et "3 Réchauffeur", et un
élément supplémentaire,
le "Feu ministériel", fonctionnellement distinct du "Feu
impérial" qui correspond au Coeur, afin de satisfaire aux
règles de
symétrie exigées par le système
d'acupuncture. L'exposé
suivant résume
le symbolisme des éléments à travers
le sens fonctionnel des organes et de
leurs divers attributs. Les aspects physiologiques ou anatomiques ne
sont
mentionnés que pour illustrer ce symbolisme. Les noms des
organes et des
viscères seront écrits désormais avec
une majuscule pour indiquer qu'ils
signifient un symbolisme chinois et non pas une
réalité anatomo-physiologique
occidentale. Elément
BOIS. Foie
- Vésicule biliaire.
(Jue Yin -
Shao Yang du pied) Le
Foie correspond à
l'élément Bois qui symbolise la naissance, la
croissance et l'épanouissement.
Sa fonction est régulatrice de la digestion, du
métabolisme, du sang et des
émotions. Le Foie conserve Xue, le sang et Qi,
l'énergie, qu'il libère selon
les besoins. Si sa fonction Yin de conservation est insuffisante,
l'excès Yang,
qui n'est plus retenu, cause le syndrome de vent-chaleur de Foie, qui
se
manifeste par de la fièvre, des tremblements, de
l'irritabilité ou des émotions
fortes telles que de violentes colères. - L'état
de sa fonction se manifeste
aux muscles et tendons, organes de l'activité motrice. La
clef pour la
compréhension du Foie est l'oeil, organe sensoriel de la
forme et de la
lumière, qui dirige l'action et qui exprime
l'énergie vitale et les émotions. Elément
FEU. Coeur
- Intestin grêle.
(Shao
Yin - Tai Yang de la main) Le
Coeur appartient à
l'élément Feu. Il gouverne le sang et les
vaisseaux et il est le siège du Shen
qui représente la conscience, l'esprit et la
vitalité. - Le Coeur se manifeste
aux vaisseaux que la médecine traditionnelle chinoise
assimile aux méridiens,
et qui assurent donc la communication entre les parties du corps, leur
union.
Le Coeur est le centre moteur de ce système de
communication, symbolisant
l'unité du corps et de la conscience. La clef pour la
compréhension du Coeur
est la langue, organe de la parole, de la communication, par laquelle
la
conscience exprime sa volonté. Maître
du Coeur - Trois Réchauffeurs.
(Jue
Yin - Shao Yang de la main) Le
Maître du Coeur
(M.C.) et son viscère couplé, le
"3-Réchauffeur", sont des organes
virtuels. Ils ne correspondent à aucune entité
anatomique. Le M.C. représente
un méridien, mais dans la théorie des cinq
organes il est assimilé au Coeur et
à l'élément Feu. Il a pourtant une
fonction distincte et précise. Son nom
chinois Bao Xin signifie
littéralement
"enveloppe du coeur", ce qui est souvent traduit abusivement par
péricarde. Mais le sens du terme chinois est symbolique et
signifie
"protecteur du Coeur": toute agression externe atteint d'abord le
M.C. avant d'atteindre le Coeur. Mais les chinois anciens faisaient la
distinction entre le "Feu impérial", le Coeur, et le "Feu
ministériel" ou Maître du Coeur. Cette distinction
éclaire la fonction.
L'Empereur représentant le pouvoir, c'est lui seul qui prend
les décisions. Son
ministre prépare ces décisions; c'est lui qui
reçoit les informations
concernant les affaires extérieures et qui imagine des
projets d'action pour
l'Empereur. La fonction du ministre est évidemment
étroitement liée à celle de
l'Empereur dont il est l'ombre. Aussi la signification physiologique du
méridien M.C. est-elle similaire à celle du méridien du
Coeur. Il a une fonction de défense et une influence sur la
circulation et sur l'activité psychique et intellectuelle. Elément
TERRE. Rate
- Estomac
(Tai
Yin - Yang Ming du pied) Elément
MÉTAL Poumon
- Gros intestin.
(Tai
Yin - Yang Ming de la main) Le
Poumon appartient à
l'élément Métal. Il est responsable du
Qui de tout l'organisme. Le Poumon est
le lieu où le Qi pur venant du ciel communique avec le Qi
intérieur. Cette
énergie respiratoire du Poumon signifie une fonction de
purification, d'échange
et de distribution de l'énergie vers le bas et vers la
périphérie. Elle
répartit le Qi, le sang et les liquides vers tous les
organes périphériques.
- En effet la
fonction du Poumon se
manifeste à
la peau et aux poils, et la
clef pour sa compréhension est le nez, ouverture vers
l'espace, l'atmosphère
ambiante, et organe de l'odorat qui est le plus subtil des sens. Le
Poumon
symbolise en effet la sensibilité à
l'environnement en général. Elément
EAU Rein
- Vessie.
(Shao
Yin - Tai Yang du pied) Le
Rein appartient à
l'élément Eau qui signifie, dans le symbolisme
chinois, le froid hivernal, le
Nord et la
conservation. La fonction
principale du Rein est de conserver l'essence Jing qui, selon le Su
Wen, est la
base de l'organisme. De cette essence dépend la croissance,
le développement
normal et l'intégrité physique et mentale. Dans
le Ling Shu il est dit que le
début de l'homme surgit avec le Jing. En effet, le Jing
inné est reçu des
parents, mais il doit être complété
durant toute la vie par le Jing acquis,
produit de la transformation des aliments par Etiologies, diagnostic et
thérapeutiques.
Pour
la médecine traditionnelle
chinoise, la maladie est avant tout un
déséquilibre entre l'énergie de
défense
de l'organisme (Zheng Qi) et les agressions de l'environnement ou
causes de
maladie au sens strict (Xie). Ces déséquilibres
se manifestent de différentes
façons et sont classés selon huit principes,
représentés sous forme de quatre
antagonismes. Le plus important de ces antagonismes est le Yin-Yang,
les autres
en sont des cas particuliers. La maladie peut donc être:
Yang
ou
Yin
Le
déséquilibre peut être
provoqué par
trois types de causes:
Le
diagnostic se fonde
sur une sémiologie précise exigeant un examen
complet comprenant l'inspection,
l'audition, l'olfaction, et la palpation. Il faut souligner
l'importance de
l'inspection de la langue et de la palpation du pouls. Ces
méthodes propres à
la médecine chinoise donnent des indications sur
l'état des méridiens et des
organes. Le médecin chinois exprime ensuite son diagnostic
sous forme de
syndromes. Ce sont les syndromes des organes et des
viscères, des méridiens et
de leurs niveaux d'énergie et les syndromes du Qi, du sang
et des liquides
organiques. Les
méthodes
thérapeutiques de la médecine chinoise
comprennent d'abord des règles de
conduite par rapport aux influences climatiques et concernant le
comportement
psychique et des conseils d'alimentation. La
diététique chinoise est un art
particulier qui est basé sur les mêmes principes
que la pharmacopée chinoise.
Celle-ci comprend des substances naturelles
d'origine végétale, animale et
minérale, qui sont classées, comme dans la
médecine indienne ou tibétaine, selon les saveurs
et les autres qualités
physiques telles que
leurs propriétés
chauffantes ou réfrigérantes, et selon leurs
affinités pour les différents
organes, conformément à la théorie des
5 éléments. - Enfin l'acupuncture
proprement dite est prescrite par le médecin chinois selon
le cas, comme
thérapeutique adjuvante, mais elle est en
général appliquée
par un acupuncteur sans formation
médicale. Malgré certaines similitudes de la médecine chinoise avec la médecine indienne, en ce qui concerne la théorie des cinq éléments et son application diagnostique et thérapeutique, il existe cependant sur le plan pratique des divergences considérables concernant certaines conceptions mais aussi les dénominations des éléments. Notes
bibliographiques. (1)
Nandalal
Sinha a écrit une préface au livre "The
Samkhya philosophy",
une collection de textes originaux, où il résume
et commente les principes
fondamentaux de la philosophie du Samkhya. Le (2)
Les résumés des principes fondamentaux de
l'ayurvéda se fondent sur les
publications de G. Edde, Dash Bhagwan (1986),
B. Heyn, V. Lad, V. Lad /D. Frawley,
Ch.G. Thakkur. (consulter la liste des auteurs.) (3)
L'association de l'élément eau à
l'élément feu pour former Pitta est
mentionnée
chez Lad
V./D. Frawley, ("Die Ayurweda-Pflanzenheilkunde", p. 29) et
chez Ch. G. Thakkur (Ayurveda - die indische Heil- und Lebenskunst, p.
79) (4)
Sinha
B. M., "Time and Temporality in Samkhya Yoga and Abhidharma
Buddhism". (5)
Clifford
T., p. 64-65. (6)
Les résumés des principes fondamentaux de la
médecine tibétaine se fondent sur
les publications de Clifford T., Dash Bhagwan
(1976), Massin Ch., Meyer F.,
Tsarong/Drakton/Chomphel (consulter la liste des auteurs). (7)
Les résumés des principes fondamentaux de la
médecine chinoise se fondent sur
les publications de Auteroche B. / Navailh
P., Schnorrenberger C. et Porkert M.
(consulter la liste des auteurs). (8)
Clifford
T. affirme que les
éléments chinois proviennent du bouddhisme.
L'influence de la médecine indienne sur la
médecine
chinoise a cependant pu
intervenir beaucoup plus tôt, déjà
à
l'époque de l'apogée du védisme au
début du
premier millénaire av. J.C., ou même avant,
pendant la
civilisation prévédique.
Selon J. Amoyel, des spécialistes de la
préhistoire
pensent que l'acupuncture
est parvenue à (9)
Schnorrenberger
C., p. 63 (10)
Auteroche
et Navailh, p. 20. (11)
Schnorrenberger
C., p. 75-76. (12)
Selon une citation donnée par C.
Sagnières ("L'acupuncture,
mythes et réalité", p. 37), Y. Manaka,
célèbre acupuncteur japonais,
"l'énergie désigne quelque chose qui n'a pas de
forme, un
fonctionnement". |