Chapitre I
Une nouvelle axiomatique.La méthode scientifique classique.
L'origine et l'évolution
historique des sciences naturelles
ainsi que le caractère unilatéral et incomplet de leurs méthodes ont
été
largement exposés et discutés par F.
Capra dans
plusieurs ouvrages, sous
l'angle des nouvelles découvertes de la physique quantique (1). Les
principes
logiques généraux, les axiomes ou présuppositions, de cette méthode
scientifique qui reste aujourd'hui encore déterminante en biologie et
en
médecine, seront brièvement résumés ici. Galilée
était le
premier à démontrer comment la nature pouvait être décrite par des
propriétés
mesurables telles que nombres, grandeurs, formes etc., et comment, avec
l'aide
de tels symboles quantitatifs, les relations entre les objets et les
événements
pouvaient être
représentées
mathématiquement comme des lois de la nature, afin de pouvoir prédire
l'apparition des phénomènes. Bacon
défendit cette
méthode de description
mathématique de la nature et établit une méthode inductive claire,
permettant
d'acquérir des connaissances scientifiques sûres, par l'expérimentation
reproductible. Il considéra la nature comme une mécanique et exigea
qu'elle
soit décomposée en parties, afin de pouvoir lui arracher tous ses
secrets et de
la dominer ainsi, pour la rendre utile à l'homme. Descartes
réunit
les idées de Galilée et de Bacon dans son "Discours de la Méthode".
Sa contribution essentielle à la méthode scientifique consistait avant
tout
dans une distinction claire entre ce qui relève de l'esprit et qui est
qualitatif et subjectif (res cogitans) et ce qui relève de la nature
matérielle
et qui est mesurable et objectif (res extensa). Bien qu'en réalité
Descartes
eût attribué au subjectif, à la raison, un rôle déterminant (je pense,
donc je
suis) (2), cette distinction a été interprétée après lui, par les
"cartésiens", de telle manière que seul le mesurable ou objectivable
est qualifié de rationnel, alors que ce qui est subjectif et qualitatif
est
traité d'irrationnel et n'est par conséquent pas digne d'une recherche
scientifique
sérieuse. Newton
combina
l'expérimentation avec l'analyse mathématique pour établir ce qui
deviendra la
méthode scientifique classique. Après lui, tous les phénomènes seront
expliqués
par les mouvements mécaniques d'une matière constitutive absolue,
formée de
particules supposées identiques, de "briques de la matière"
caractérisées uniquement par leur masse, par leur assemblage dans un
espace
indépendant à trois dimensions et par leur mouvement dans un temps
linéaire et
unidirectionnel. Les forces en jeu, distinctes de la matière, seront
censées
être produites, comme celle-ci, par une impulsion initiale créatrice et
les
quantités initiales de matière seraient restées conservées au cours de
tous les
mouvements et transformations de l'univers. La méthode des sciences
naturelles qui détermine aujourd'hui
encore la conception du monde de notre civilisation technologique,
repose sur
un petit nombre de principes fondamentaux ou axiomes. Ce sont des
présuppositions indémontrables qui représentent la base de tous les
raisonnements ultérieurs. Ils ne sont jamais exprimés tels quels mais
restent
sous-entendus dans le discours scientifique.
Conformément à l'exigence de
Bacon de décomposer la nature
pour mieux la dominer, ces principes de la méthode scientifique
confèrent aux
sciences naturelles une orientation surtout utilitaire. Le but de cette
méthode
de recherche consiste en effet à isoler des domaines partiels des
interconnexions globales de la nature, afin de pouvoir mieux exploiter
ses
ressources. C'est précisément parce que cette pensée analytique est
orientée
par l'utilité pratique et renonce délibérément à parvenir à une
compréhension
plus profonde du caractère global des événements de la nature, qu'elle
a pu
conduire vers de grandes réalisations technologiques. Il semble en
effet -
surtout si l'on considère les méthodes de production et d'exploitation
de
l'énergie et de fabrication de matériaux chimiquement purs - que seuls
les
états de déséquilibre provoqués par des dispositifs techniques isolant
un domaine
partiel de l'ensemble des événements de la nature, peuvent conduire
vers des
effets utilisables. Bien que cette méthode continue
à être appliquée avec succès
dans tous les domaines de la recherche expérimentale, il s'est avéré
peu à peu
dans la recherche fondamentale, surtout en physique théorique, que ses
principes ne sont pas compatibles avec certaines propriétés et lois
essentielles de la nature. Déjà au dix-neuvième siècle, l'image
mécanique et
déterministe du monde de la physique de Newton fut remise en question
lorsque,
à la suite de la découverte des phénomènes électromagnétiques par
Faraday et
Maxwell, la notion de champ de force remplaça celle de la force
mécanique. La
conception de la matière comme une entité absolue et indépendante finit
par
être ébranlée au début du vingtième siècle par la théorie de la
relativité de
Einstein. La masse, la propriété mesurable essentielle de la matière,
ne
pouvait en effet plus être définie que par ses rapports avec l'énergie,
l'espace et le temps. Enfin l'introduction de la théorie des champs
dans
la physique
nucléaire conduisit à deux
descriptions fondamentalement contradictoires des propriétés
élémentaires de la
matière. L'une s'appuie sur la théorie atomiste classique, selon
laquelle la
matière, et par conséquent le monde, est constituée de particules
élémentaires.
L'autre repose sur la théorie ondulatoire
et explique la matière et ses propriétés par des
phénomènes
énergétiques. En 1927, Niels
Bohr
constata que les deux théories sont toutes les deux nécessaires et
indispensables pour une description complète des phénomènes nucléaires
et sont
donc complémentaires. Ce principe de complémentarité, qui est applicable aussi à la
contradiction entre
la continuité de l'onde ou du champ et la discontinuité du quantum
d'énergie
établi par Planck a été finalement clairement formulé dans le principe
d'incertitude de Heisenberg. La complémentarité de propriétés ou de
théories
contradictoires en physique quantique signifie cependant que le
principe de
non-contradiction n'a pas une validité illimitée. Contrairement au réductionnisme
de la méthode cartésienne,
la conception du monde de la physique quantique peut être qualifiée de
globale,
holistique ou systémique. Le monde est conçu comme un tout dynamique
indivisible dont les manifestations ne peuvent pas être réduites à des
entités
indépendantes et inaltérables, telles que des briques élémentaires de
la
matière, mais ne peuvent être comprises que par leurs relations avec
l'ensemble. La causalité mécanique linéaire est ainsi remplacée par une
relation de la partie avec le tout qui ne peut pas être réduite à la
somme des
relations individuelles avec toutes les autres parties. (3) En physique quantique, le
principe déterministe est aussi
remis en question par l'apparition spontanée d'événements quantiques,
tels que
par exemple la décomposition radioactive, qui ne peuvent être exprimés
mathématiquement que par le calcul des probabilités. Il est vrai que
l'on
cherche à réduire ces probabilités ou spontanéités à des "causes non
locales". Mis à part le fait que cette notion n'a rien de commun avec
des
causes dans le sens classique du terme (4), d'autres recherches, dans
le
domaine des chaos déterministes, ont démontré que chaque système ouvert
a, sous
certaines conditions, un comportement fondamentalement indéterminable.
En
particulier les travaux de I. Prigogine
sur les "structures dissipatives ", l'apparition d'un ordre dans les
systèmes chaotiques, indiquent que l'indétermination joue dans
l'évolution des
systèmes ouverts - et par conséquent dans celle des systèmes biologique
- un
rôle essentiel. Ces découvertes placent l'organisation biologique et
son
évolution dans un contexte nouveau; elles seront donc expliquées plus
en détail
par la suite. Enfin, la physique quantique
fut placée devant un autre
paradoxe lorsqu'il s'avéra que ce n'est pas l'objet mais le dispositif
expérimental, donc le comportement de l'expérimentateur, qui détermine,
si un
électron se présente à l'observation
comme une particule localisable ou comme une onde
sans localisation
précise. Par cette implication du sujet dans l'expérimentation, et par
conséquent dans la connaissance qui en résulte, la prétention à
l'objectivité
absolue du principe rationaliste est également mise en défaut. La plupart des grands physiciens de ce siècle ont reconnu qu'il faut tenir compte du rôle du sujet expérimentateur dans l'interprétation des résultats de l'expérimentation et que, par conséquent, une compréhension complète de la physique ne pourra pas être atteinte sans une réflexion sur les conditions subjectives de la connaissance, donc sur le rôle de la conscience humaine. Aussi bien les pères de la physique quantique: Bohr, Schrödinger, Eddington, Heisenberg et Pauli, que leurs successeurs les plus importants comme David Bohm et Geoffrey Chew, dont il sera question plus loin, ont exprimé dans leurs considérations philosophiques leur conviction que la réalité ne peut pas être réduite aux faits objectifs rationnels, et qu'une compréhension plus profonde de la nature ne pourra être acquise qu'en relation avec le subjectif, le signifiant, le qualitatif que l'on nomme irrationnel. De la stabilité matérielle à l'équilibre fonctionnel.
Du point de vue des sciences
naturelles il peut paraître
étonnant que ce sont justement les physiciens qui s'occupent de nouveau
de
questions philosophiques et qui attirent l'attention sur l'importance
de
valeurs traditionnelles irrationnelles que l'on croyait pouvoir
reléguer dans
un passé définitivement révolu. Mais si l'on tient compte du caractère
singulier
de la physique quantique ou de la physique théorique en général, cela
ne
devrait pas étonner. Dans ce domaine abstrait, les objets de la
recherche ne
sont plus des choses concrètes, observables directement par les sens ou
manipulables à l'aide d'instruments d'observation. Les objets de la
physique
quantique peuvent être établis seulement comme des hypothèses, en
calculant
leurs propriétés qui ne peuvent être vérifiées ensuite
qu'indirectement, au
moyen de dispositifs expérimentaux gigantesques. "Les quarks, les
électrons, les atomes et les molécules ne sont pas des briques de la
matière,
ce ne sont pas des objets trouvés mais des objets inventés, des
constructions
de ceux qui poursuivent
des recherches
sur la réalité matérielle", déclarait le physicien H. Primas dans une
conférence au sujet des présupposés ou préjugés dans les sciences
naturelles
(5). Dans ce sens, la physique n'est en fait plus une science de la
matière.
Elle va bien au-delà des faits d'expérience et devient une science des
lois de
la nature et de l'ordre universel. Mais cela n'est plus de la physique,
cela se
nomme métaphysique. Descartes lui-même avait
parfaitement compris cette relation
entre la physique et la métaphysique, puisqu'il écrivit dans la préface
des
"Principes": "Toute la philosophie est comme un arbre, dont les
racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches
qui
sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences". Cette métaphore
est
citée volontiers par les successeurs de Descartes, les cartésiens, pour
relever
que toutes ces autres branches des sciences ne peuvent porter de fruits
qu'en
étant rattachées au tronc commun qu'est la physique. Mais ils oublient
tout
aussi volontiers que la physique est elle-même enracinée dans la
métaphysique. Dans la physique actuelle, il
existe deux hypothèses qui
sont souvent citées comme modèles de la nouvelle pensée holistique. La
formulation mathématique de ces théories elles-mêmes n'est pas
accessible au
profane. Il est remarquable par contre que toutes les deux s'appuient
sur des
présuppositions semblables, qui ont un caractère nettement holistique
et
métaphysique. "Selon cette
"philosophie bootstrap", la nature ne peut être réduite à des entités
fondamentales, comme par exemple les constituants essentiels de la
matière,
mais doit être comprise entièrement en termes de cohérence ... Non
seulement
l'hypothèse du bootstrap dénie l'existence de constituants fondamentaux
de la
matière, mais elle n'accepte aucune entité quelle qu'elle soit, aucune
loi,
équation ou principe fondamental
... Aucune
des propriétés d'une
partie quelconque de ce tissu n'est fondamentale; elles découlent
toutes des
propriétés des autres parties et la cohérence générale de leurs
interactions
détermine la structure du tissu entier." (7) En biologie comme en physique
quantique, la notion de
système doit remplacer celle de la matière. Mais sous le terme système il ne faut pas comprendre un
agrégat matériel mais un ensemble
fonctionnel qui, bien que composé
de
systèmes d'ordre inférieur, est pourtant aussi
organisé par un système d'ordre supérieur. Le concept de système est cependant, comme celui de matière, une idée abstraite et complexe. La notion de matière, en tant que substance ou masse, est déduite des phénomènes perceptibles par les sens, tels que l'inertie, la résistance à l'application d'une force. Le concept de système par contre est déduit de l'observation de relations fonctionnelles. Pour établir une nouvelle philosophie des sciences sur une base axiomatique vraiment universelle, il sera donc nécessaire de distinguer et de définir clairement la notion de phénomène d'une part, et celle de fonction d'autre part. Définition du phénomène: son aspect ternaire.
La réalité, qui ne peut plus
être expliquée par des entités
matérielles, devrait seulement être désignée comme un
fait d'observation, un phénomène. En effet,
selon le dictionnaire, le phénomène est ce qui est perçu par les sens.
Il est
donc l'objet de toute observation et par définition l'objet des
sciences
expérimentales. Dans les sciences dites
exactes, les phénomènes sont décrits
par leurs grandeurs mesurables. Si l'on examine ces mesures, définies
comme
unités internationales, on peut faire la constatation que toutes
dérivent de
trois unités qui mesurent la matière (gramme), l'espace (mètre) et le
temps
(heure), car elles sont ou peuvent être définies par des dispositifs
expérimentaux décrits avec ces trois unités. Ainsi, si l'on prend le
newton,
l'unité de mesure de la force, dont dérivent notamment toutes les
autres
expressions énergétiques de la physique, il est défini par la force qui
communique à un corps ayant une masse de
Si l'on considère la formule
d'Einstein: E = m . c², on constate
d'abord qu'elle
est l'expression de l'équivalence ou complémentarité de l'énergie et de
la
masse. Quant à la constante c, elle désigne la vitesse de la lumière.
Mais par
le rapport distance/temps, celle-ci représente une relation de l'espace
au
temps. Tout cela signifie qu'une énergie, pour être observable en tant
que
phénomène concret, doit être définie non seulement par son rapport
fonctionnel
antagoniste avec la masse (matière = masse ou énergie), mais encore par
la
relation de celle-ci avec l'espace et le temps. Non seulement en physique mais
aussi dans l'expérience
quotidienne de l'environnement, chaque phénomène se présente à
l'observateur
sous trois aspects différents mais inséparablement reliés; il comprend: - une
composition matérielle, par quoi on peut
comprendre aussi bien une énergie qu'une substance. - une
disposition spatiale: sa forme ou
localisation. - une
évolution temporelle: ses changements ou
mouvements. L'objet de l'observation n'a donc plus le statut d'une entité simple, d'une réalité extérieure indépendante et univoque. L'objet de l'expérience sensorielle ou expérimentale immédiate est un phénomène qui, pour être objectivement observable (c.-à-d. pour être mesurable), doit être décrit par ses relations avec les trois conditions cosmiques obligatoires: matière, espace et temps. Lorsque le phénomène ou objet de connaissance est ainsi défini par la corrélation de ses trois aspects - matériel, spatial et temporel - alors seulement il est actualisé et objectivable dans le sens strict de ce terme: il ne peut pas avoir au même moment, au même endroit et sous tous les rapports la propriété A et la propriété non-A. Il est soit A soit non-A. L'observation ou connaissance expérimentale du phénomène obéit donc bien à la logique classique de la non-contradiction et du tiers exclu. Définition de la fonction : l'antagonisme.
Selon les dictionnaires, la
fonction est le rôle ou utilité
d'un élément dans un
ensemble. La
fonction n'est donc pas un phénomène mais une idée abstraite,
expression des
activités ou des transformations auxquelles les phénomènes sont
assujettis par
leurs interactions réciproques. Bien qu'en biologie on donne à la
"fonction" le sens d'un effet orienté par une finalité au moins
apparente, elle ne doit pas nécessairement être conçue comme une notion
fondée
sur un présupposé finaliste. Elle peut au contraire être comprise dans
le sens
des interactions, des relations réciproques ou interconnexions de la
physique
quantique. Les quanta, particules ou atomes ne sont en effet plus
considérés
comme des briques de matière, mais comme des systèmes, des unités ou
modules
fonctionnels, qui sont produits par des interactions élémentaires
gouvernées
par des lois de symétrie et de conservation. Cette conception était
déjà
proposée par Heisenberg qui déclara:
"...Toute particule consiste de toutes les autres
particules... Par
quoi faut-il donc remplacer le concept d'une particule fondamentale? Je
pense
qu'il faut remplacer ce concept par le concept d'une symétrie
fondamentale...
Et une fois que ce changement décisif aura été effectivement
accompli... je ne
pense pas que nous ayons besoin de quelque autre intuition pour
comprendre la
particule élémentaire - ou plutôt non élémentaire." (10) La conception actuelle de la
physique quantique est bâtie
entièrement sur cette idée des symétries qui est à l'origine des
interactions
entre quanta ou champs. Mais jusqu'à présent, cette description
dynamique de la
réalité n'a guère influencé les autres sciences naturelles. Le seul
biologiste
et philosophe qui a reconnu l'importance des conséquences conceptuelles
de la
physique quantique est Stéphane Lupasco. Il a conçu une théorie des
systèmes
(ou systémologie) qui explique la vie non pas par la matière, mais par
les
interactions dynamiques produites par des forces, propriétés ou états
opposés
et symétriques. S'inspirant du principe de complémentarité de Bohr, du
principe
d'incertitude de Heisenberg et surtout du principe d'exclusion de
Pauli, qui
est à l'origine des liaisons chimiques covalentes et par conséquent de
toute la
structure macroscopique de la biologie, Lupasco a tiré la conclusion
que tous
les phénomènes résultent fondamentalement de l'antagonisme de forces ou
éléments logiques contradictoires. Il postula donc un "principe
d'antagonisme" qu'il présenta comme base logique de la constitution de
tous les systèmes complexes. Il le définit comme une dualité de
dynamismes à la
fois contraires et complémentaires,
qui
sont liés l'un à l'autre de telle manière que l'un ne peut être défini
et
compris que par son opposition à son contraire. Il expliqua la relation
contradictoire des deux éléments antagonistes par le fait que
l'existence de l'un
à l'état actualisé entraîne
l'existence de l'autre à l' état potentialisé et inversement, de telle
sorte
que le principe de non-contradiction de la logique classique ne soit
jamais
enfreint. (11) Lupasco fit donc une
distinction entre un état actualisé
(état A) et un état potentialisé (état P). A ces deux il ajouta un
troisième
état (état T) qui correspond à un état intermédiaire, à un équilibre
exact
entre l'actualisation et la potentialisation, origine des deux autres
états et
des éléments antagonistes qui les représentent. Ainsi le principe
d'antagonisme
devint une logique du tiers inclus. Cette philosophie des trois
états (ou des trois matières) a
une certaine ressemblance avec les trois ordres de David Bohm: l'ordre explicite, l'ordre
implicite et
l'ordre superimplicite
qui est l'origine
des deux autres. L'ordre implicite ou les potentialités de la physique
quantique signifient cependant bien plus qu'une simple
potentialisation.
Lupasco avait certainement une vision intuitive de la logique des
relations
globales, compatible avec la physique quantique. Malgré cela, et bien
qu'il eût
reconnu dans le principe d'antagonisme une logique d'ordre supérieur à
celle du
principe de non-contradiction, il ne parvint pas à se libérer de
l'emprise de
la pensée réductionniste et déterministe. Déjà les expressions
actualisation-potentialisation sont utilisées dans le sens des
processus
réversibles de la mécanique. Sa systémologie aussi est bâtie selon le
principe
réductionniste de l'assemblage de l'ensemble par des parties
composantes. C'est pour cette raison que le
principe d'antagonisme doit
être redéfini dans un sens plus général. Son importance ne réside en
effet pas
dans une bascule entre un état actualisé et un état potentialisé, mais
dans la
représentation globale d'un processus dynamique. Bien sûr, le principe
de
non-contradiction reste valable pour l'observation des phénomènes
actualisés de
l'ordre explicite, car un phénomène ne peut pas présenter au même
moment, au
même endroit et sous le même point de vue des propriétés contraires. Un
processus dynamique par contre, et par conséquent sa fonction, est
toujours
produit par un potentiel de forces qui présuppose un gradient entre une
paire
de propriétés ou d'états opposés. Ces antagonistes participent donc
toujours en
commun et de façon actuelle au processus, mais se présentent à
l'observation de
façon dissociée: - Ils
peuvent être dissociés dans l'espace ou
symétriques, comme les pôles d'un champ magnétique ou d'un potentiel
électrique. - Ils
peuvent être dissociés dans le temps ou
périodiques comme la lumière du jour et l'obscurité nocturne dans le
cycle
circadien. - Enfin
ils peuvent aussi être dissociés dans la
matière ou complémentaires, observables par des moyens matériels ou
instrumentaux différents, comme l'aspect de particule et l'aspect
d'onde de
l'électron. Les éléments contradictoires de
l'antagonisme sont donc des
aspects inséparables d'un même processus dynamique qui, dans nos
exemples,
correspond respectivement à un champ polarisé, à la rotation de la
Terre, et à
la charge électrique élémentaire. L'importance de l'antagonisme réside
donc
dans sa représentation d'un processus dynamique ou fonctionnel, raison
pour
laquelle il peut être désigné comme définition d'une fonction. En physique, ces antagonismes
ont été représentés par les
symétries et lois de conservation et par les complémentarités. Dans le
fond,
une équation est toujours la représentation d'un antagonisme et elle
est aussi
désignée en physique par le terme
fonction. Mais les équations mathématiques sont déjà
des systèmes
complexes d'antagonismes, car, comme il sera démontré au chapitre , toutes les unités de
mesure, dont elles
représentent les relations, sont elles-mêmes des rapports entre
significations
antagonistes. Les équations chimiques
représentent les antagonismes d'une
manière beaucoup plus expressive. Elles décrivent toujours un équilibre
entre
réactions opposées ou inverses. L'équation suivante propose un exemple
de
l'équilibre fondamental en biologie entre la réduction et l'oxydation.
Oxydation
----------->
Alcool
R - CH2 OH + O2
R - COOH + H2O
Acide
<-----------
Réduction Cette équation peut évidemment
être décomposée en réactions
intermédiaires et subordonnées, passant par l'aldéhyde. En poussant
l'analyse
plus loin, la réaction chimique s'explique par les échanges d'électrons
entre
atomes, formant les liaisons covalentes. Mais comme ceux-ci obéissent
aux lois
des symétries du principe de Pauli, on se retrouve encore face à des
antagonismes. Cet exemple simple a cependant pour seul but de montrer
que
l'équation chimique représente un équilibre entre deux états extrêmes
possibles: l'état relativement réduit de l'alcool et l'état oxydé de
l'acide.
Qu'une réaction se déroule effectivement soit dans le sens d'une
oxydation vers
l'acide, soit dans le sens d'une réduction vers l'alcool ne dépend pas
de
l'équation elle-même ni des états
antagonistes qu'elle représente, mais du contexte
global de
l'environnement. Celui-ci a été décomposé par
les chimistes en une série de conditions
particulières telles
que température, pression, pH et pO²,
apport ou élimination d'énergies ou de substances, catalyseurs etc., qui peuvent être
manipulés séparément
pour diriger la réaction dans le sens souhaité. L'antagonisme, en tant que
définition d'une fonction, doit
toujours être compris de cette manière, comme un potentiel, un état de
tension
en équilibre, ou comme une symétrie entre deux états extrêmes
possibles, le
déplacement ou la rupture de cette symétrie dépendant entièrement du
cadre
environnemental global dont fait partie aussi le sujet observateur, et
qui
détermine ainsi le fonctionnement effectif. A partir de ces antagonismes
des réactions biochimiques se
constituent les régulations biologiques plus complexes qui résultent à
leur
tour de potentiels antagonistes et qui sont en général décrits comme
des
mécanismes de feed-back. Dans un de ses livres,
"L'énergie et la matière vivante", Lupasco a présenté un inventaire
détaillé et
impressionnant des antagonismes dans tous les domaines et sur tous les
niveaux
de l'organisation biologique. De ces fonctions biologiques
émergent les comportements
psychologiques qui se caractérisent par un dualisme très marqué. Plaisir ou douleur conduisent, en
passant par le
désir ou l'aversion et l'amour ou la haine, vers les notions de bien ou
de mal.
Tous ces dualismes correspondent à une fonction: la conservation ou la
destruction du système global, peu importe qu'il s'agisse de
l'individu, de
l'espèce ou de la société. Non seulement les comportements
émotionnels mais aussi tous
les processus rationnels sont organisés par des relations antagonistes.
Il
n'est pas difficile de se rendre compte qu'à chaque expression verbale
abstraite qui ne désigne pas une chose ou un système complexe mais une
propriété élémentaire, un effet ou un état, on peut toujours trouver
une
expression contraire qui correspond à une propriété contraire, à un
effet
inverse ou à un état opposé. Ce comportement dualiste de la pensée, qui
est à
l'origine du principe de non-contradiction, résulte de la nécessité
physiologique élémentaire de répondre par des décisions et des
réactions sans
équivoque à des questions d' importance vitale.
Il naît en dernière analyse du mode de réaction
physiologique binaire de
la cellule individuelle qui ne peut répondre à toute excitation que
selon la
règle du tout ou rien: dépolarisation ou pas de dépolarisation. Mais ce dualisme, qui résulte
de la nécessité physiologique
élémentaire de réactions nettes, sans ambiguïté, aux stimulations de
l'environnement, ne correspond pas à une réalité, il est plutôt une
distorsion
des vrais rapports fonctionnels. Ceux-ci sont toujours fondés sur des
équilibres, sur des symétries de probabilités contraires, qui peuvent
être
rompues et déviées en faveur de l'une ou de l'autre des deux
possibilités. Ces
concepts antagonistes qui, en tant qu'éléments logiques, sont désignés
par des
expressions linguistiques contradictoires, sont des cas extrêmes
asymptotiques,
donc impossibles, parce que chacun d'eux ne peut être conçu qu'à
travers le
rapport fonctionnel global qui le relie à son contraire. Les
expressions
logiques du langage ne peuvent donc jamais être absolument vraies,
elles
indiquent par contre l'orientation indispensable pour réagir, agir et
penser. L'antagonisme devient ainsi le
fondement d'une logique
supérieure au principe de non-contradiction, qui est applicable aux
relations
fonctionnelles globales où toute vérité absolue est exclue. Il peut
être défini
de la manière suivante. L'antagonisme est la relation
qui existe entre deux éléments
logiques contraires qui sont inséparablement réunis en un ensemble
fonctionnel.
Chaque antagonisme désigne un potentiel d'action qui
est à l'origine
d'une fonction
déterminée. Cette définition exprime elle-même une relation antagoniste entre la contradiction des éléments logiques, qui est à l'origine du monde fragmenté des phénomènes que nous percevons, et leur unité fonctionnelle indivisible qui se rapporte à un tout qui est l'origine indifférenciée de toutes les interconnexions globales. C'est pour cette raison qu'elle ne peut être comprise pleinement que dans le cadre de la conception globale de la connaissance qui va être exposée au prochain paragraphe. Toute la logique des relations fonctionnelles dont sont faits les systèmes, repose sur l'antagonisme. Ce principe fondamental qui conduira dans la suite de cet exposé vers de nouveaux développements logiques, est expliqué de manière un peu plus détaillée et dans un contexte plus large dans l'annexe : "Complémentarité, antagonisme et fonction". La connaissance en tant que fonction: objectivité et
subjectivité.
Selon les conceptions les plus
modernes, la connaissance
n'est ni le reflet d'une réalité matérielle objective et extérieure,
comme on
le suppose dans la physique classique, ni la projection vers
l'extérieur d'une
réalité qui serait purement subjective et intérieure, mentale ou
spirituelle. Selon les expériences de J.
Piaget qui a étudié les
processus d'apprentissage chez l'enfant, la connaissance, donc
l'acquisition de
nouvelles capacités pratiques ou intellectuelles plus complexes, est
construite
progressivement par l'interaction entre les structures cognitives
préexistantes
du sujet avec les propriétés ou le comportement de l'objet, comme dans
tout
processus biologique d'adaptation (12). Dans les théories les plus
modernes des
sciences cognitives défendues par F. Varela (13), la connaissance est
expliquée
dans le même sens, par l'interaction entre sujet et objet, d'où elle
surgit
comme "émergence", comme une structure fonctionnelle nouvelle et plus
complexe. Cette interaction entre sujet et objet, appelée "enaction",
est comparée par Varela à la corrélation entre la poule et l'oeuf qui
se
définissent mutuellement, et la connaissance
est décrite comme une construction qui se constitue
progressivement et
dont le but ou aboutissement est le développement de systèmes viables. La connaissance
est
donc une fonction dont l'antagonisme repose sur le couple sujet-objet.
L'objet
a déjà été défini en tant que phénomène. Une connaissance objective
serait donc
celle qui, comme l'exigent les sciences, serait exprimée uniquement par
des
paramètres quantitatifs, donc par le conditionnement matériel, spatial
et
temporel de l'objet. Une telle connaissance serait absolument
objective, exacte
et précise, mais elle serait dépourvue de
toute signification. Ce qui donne un sens, une
orientation ou importance
à la connaissance, ce sont les idées, les jugements de valeur que le
sujet
projette sur l'objet. Une science qui serait purement objective, donc
fondée
sur des données chiffrées sans signification subjective, serait une
science du
non-sens. La méthode cartésienne qui
prétend éliminer tout élément
subjectif, a elle-même failli à sa propre règle en gardant au moins un
jugement
de valeur: l'existence absolue de la matière comme principe
ontologique, par
lequel tout devait être expliqué. La formule d'Einstein laisse
apparaître elle
aussi cette projection subjective, puisque la masse et l'énergie y sont
considérées comme les objets véritables, alors que l'espace et le
temps,
condensés dans le facteur vitesse, ne constituent que le cadre où
évoluent les
phénomènes, cadre sans signification propre que l'on aime appeler
espace-temps
ou espace à quatre dimensions, pour mieux mettre en évidence la réalité
matérielle qu'y projette l'esprit du physicien. Cette méthode
scientifique
n'est certes pas sans valeur, mais cette valeur se limite strictement à
ce qui
y a été projeté: la matière et le matérialisme. Ayant privilégié un
aspect, la
matière, au détriment des deux autres, l'espace et le temps, les
sciences et
la civilisation qui
en émerge, se trouvent
à présent devant des impasses, car a priori il n'y a pas de raison
logique pour
attribuer plus d'importance à l'un de ces aspects cosmiques plutôt
qu'aux
autres. La physique n'a cependant pas
pu échapper à ce problème de
la connaissance. Capra l'a très bien exprimé:
"Le fait que
toutes les propriétés des particules sont déterminées par des principes
étroitement reliés aux méthodes d'observation signifierait que les
structures
de base du monde matériel sont, finalement, déterminées par la façon
dont nous
regardons ce monde ... Le
recours accru
à l'hypothèse du bootstrap débouche sur la possibilité sans précédent
d'être
forcé d'inclure explicitement l'étude de la conscience humaine dans les
théories futures de la matière ... Certains physiciens avancent que la
conscience pourrait être un aspect essentiel de l'univers, et que nous
pourrions être empêchés d'acquérir une meilleure compréhension des
phénomènes
naturels si nous nous obstinons à vouloir l'exclure." (14) Ces propos pourraient être
résumés ainsi : une connaissance
qui exclut toute implication subjective est aussi dénuée de toute
signification. Par un retour logique des choses, on est obligé, à un
moment
donné, d'avoir de nouveau recours à la notion de conscience du
connaisseur,
pour donner un sens à la connaissance. La connaissance émerge de la
complémentarité entre sujet et
objet. Son sens est lié à la structure cognitive du sujet, alors que sa
précision ou ses limites dépendent des conditions cosmiques objectives
et
mesurables appelées matière, espace et temps. Comme chaque aptitude ou
connaissance nouvellement acquise
consiste à intégrer des connaissances ou aptitudes préexistantes dans
un ordre
supérieur plus efficace, la conscience, l'ensemble des connaissances du
sujet,
forme une hiérarchie de niveaux qualitativement différents. Dans un
livre qui
porte le titre évocateur "Les trois yeux de la connaissance", Ken
Wilber décrit de
manière évocatrice,
comment cette hiérarchie se compose de trois niveaux fondamentalement
différents. Il recommande qu'à l'avenir ces niveaux soient respectés
dans la
quête d'un nouveau paradigme, car le brassage des contenus de niveaux
différents occasionne de nombreux malentendus, des erreurs et des
confusions.
Inspiré des paroles de Saint Bonaventure, "grand Docteur séraphique de
l'Eglise", Wilber distingue:
- L'oeil de chair
qui correspond à l'expérience sensorielle. C'est le "domaine
grossier", celui de l'espace, du temps et de la matière", où se
situent les sciences expérimentales et analytiques . - L'oeil de raison ou oeil du
mental qui correspond à la
connaissance rationnelle et déductive et appartient au "domaine
subtil" des idées, des images, de la logique et des concepts dont
procède
la philosophie. - L'oeil de contemplation qui
correspond à l'expérience
transcendantale de l'Esprit, à la réalité inaltérable de la Conscience
qui est
le domaine de la religion. (15) Par le schéma et le commentaire suivant, Wilber illustre sa pensée: Fig.
1 Le
numéro 5 est la perception sensorimatérielle élémentaire. Le numéro 4
est la
connaissance mentale, empirico-analytique, ou les idées du mental sur
le monde
sensorimatériel. Le numéro 3 est la connaissance herméneutique,
introspective
et phénoménologique, ou la connaissance du mental par le mental. Le
numéro 2
est la raison paradoxale ou mandala, ou la tentative du mental de
penser à
l'esprit. Le numéro 1 est la connaissance directe de l'esprit par
l'esprit, qui
est la connaissance immédiate ou non symbolique, intuitive et
contemplative.
(16) L'expression "mental" qui
traduit le mot anglais
"mind" signifie tous les contenus et processus psychique et comprend
donc aussi la raison. Il faut remarquer que le mental se trouve dans
une
position intermédiaire entre la matière et l'esprit. Cela signifie que
la
raison entretient des relations logiques avec les trois niveaux. Le
contenu de
ces trois relations de la raison (les numéros 2, 3 et 4) ont été
qualifiés par
Wilber respectivement par les termes paradoxal, herméneutique et
empirique. Ces
trois niveaux sont donc rationnels alors que les deux autres ne peuvent
plus être
désignés comme rationnels. Le numéro 5 représente en effet la
sensation, le
simple contact sans interprétation mentale
et donc sans signification entre le phénomène et
l'organe sensoriel,
comme on le rencontre dans tout réflexe, même inconscient. Quant à la
relation
numéro 1, elle correspond à un état de conscience transcendant toutes
les
distinctions et limitations faites par les termes du langage. Il faut relever que ces
relations en trois niveaux de la
connaissance rationnelle sont conformes à la hiérarchie universellement
valable
des systèmes qui a déjà été mentionnée. En effet la conscience ou
raison
humaine a, comme tout autre système, trois sortes de relations
fondamentalement
différentes avec d'autres systèmes. Elle a des relations avec des
systèmes
d'ordre inférieur qu'elle perçoit comme des phénomènes, des
manifestations du
monde matériel. Elle a des relations avec les contenus psychiques de
son propre
niveau: les pensées, les termes du langage et leurs significations.
Enfin elle
a des relations avec un ou plusieurs niveaux d'ordre supérieur qu'elle
représente par des symboles paradoxaux comme unité du tout
indifférencié. La différence entre ces trois
niveaux de la connaissance
dépend de la question posée:
- La connaissance empirique
répond à la question: comment
apparaît la réalité ? Ses objets
sont les manifestations perceptibles par les sens, les phénomènes. - La connaissance herméneutique
naît de la question: pourquoi la
réalité se manifeste-t-elle ainsi ? Comment fonctionne-t-elle et dans
quel but
? L'herméneutique est selon Wilber la science des interprétations et
des
significations. Mais il se trouve que l'origine des significations, du
sens des
pensées et des expressions du langage se situe dans notre relation
intime et
subjective avec l'environnement objectif. A l'occasion de la définition
de la
fonction, il a déjà été précisé que les significations élémentaires se
présentent toujours par paires de termes
contradictoires qui désignent une relation
fonctionnelle. Les
significations, en
tant que contenus de
ce niveau herméneutique, ont donc leur origine dans des fonctions
élémentaires. - La connaissance paradoxale
cherche des réponses à la question: qu'est-ce
que la réalité. Son objet, qu'elle représente par des symboles, est l'Etre global qui se confond et qui est
identifié avec la Conscience. Les objets des trois niveaux de
la connaissance sont donc
les phénomènes et les fonctions qui ont déjà été définis, ainsi que
l'Etre,
l'existence globale. Ceci conduit à la conclusion décisive que, selon
les
contenus correspondant aux différents niveaux, des logiques différentes
sont
applicables. Le phénomène obéit à la logique du principe de
non-contradiction,
la fonction à celle de l'antagonisme, de la complémentarité de termes
contradictoires, enfin l'unité existentielle du tout correspond à une
logique
de la synthèse ou de la dissolution des contraires. Les particularités des trois
niveaux de la connaissance
peuvent à présent être résumées dans le schéma suivant: Fig. 2. - La connaissance déductive-fonctionnelle
interprète le sens des termes abstraits, rationnels dont les
significations
contraires décrivent des fonctions. C'est là le domaine d'application
de la
logique de l'antagonisme qui permet de représenter la nature globale du monde par une pluralité
de
complémentarités. - La connaissance intuitive-synthétique
interprète intuitivement des symboles, des représentations imagées de
l'unité
de l'Etre ou de la Conscience. Elle répond à une logique de la synthèse
qui
dépasse celle de l'antagonisme parce que toutes les distinctions
verbales, y
compris celle entre le sujet et l'objet, sont exclues. Son contenu est
donc
inexprimable en paroles. En réalité, la conscience
humaine opère dans toute activité
de recherche sur les trois niveaux. Le chercheur a d'abord une
intuition, une
représentation imagée, floue d'un rapport global. En cherchant à la
formuler en
termes rationnels précis, il établit une hypothèse ou une théorie qui
se
compose de relations antagonistes. Pour finir, la théorie est mise à
l'épreuve
sur le niveau de l'observation et de l'expérimentation des phénomènes
où aucune
contradiction n'est possible. Dans la hiérarchie de la connaissance, le
niveau
déductif-fonctionnel avec sa logique de l'antagonisme joue un rôle
central et
médiateur entre les deux autres niveaux. Selon la définition de
l'antagonisme
comme une complémentarité de deux éléments opposés qui, par rapport au
phénomène, sont contradictoires mais, par rapport à l'unité de la
fonction,
sont inséparablement réunis, cette logique est l'intermédiaire entre le
monde
fragmenté et contradictoire des phénomènes et l'unité indifférenciée du
tout.
La capacité des sciences naturelles de déduire des lois universellement
valables à partir de l'observation des phénomènes tient au fait que le
formalisme mathématique est fondamentalement une logique des relations
antagonistes. Des précisions à ce sujet seront données au chapitre . Une compréhension complète du
tout, c'est-à-dire du système
en tant qu'ensemble fonctionnel, doit donc être développée dès les
premiers
axiomes sur la base de cette logique. Il s'agit de définir des
fonctions
primordiales par les significations de termes antagonistes
complémentaires. Le
sens des termes logiques émerge cependant de la relation fonctionnelle
que le
sujet entretient avec son environnement. La reconnaissance des
conditions
élémentaires du fonctionnement global des systèmes passe par conséquent
par une
réflexion au sujet de nos propres relations primordiales, subjectives
et
intimes mais
vitales avec les conditions
objectives de l'environnement. Cette façon de procéder dans la
recherche de
l'origine des interconnexions globales présentera donc nécessairement
et
intentionnellement des traits subjectifs qui pourront paraître naïfs et simplistes. Mais en effet,
qu'y aurait-il de
plus simple que l'unité ? Notes
bibliographiques. (1) F. Capra dans "Le
Tao de la physique" et surtout dans "Le
temps du changement", chapitre
II: Les deux paradigmes. (2) S.
de Sacy
cite les paroles suivantes de Descartes (p. 71): "L'esprit humain possède
en effet je ne sais quoi de divin, où les premières semences de pensées
utiles
ont été jetées, en sorte que souvent, si négligées et étouffées
qu'elles soient
par les études contraires, elles produisent spontanément des fruits.
Nous en
avons la preuve dans les plus faciles des sciences, l'arithmétique et
la
géométrie. ... Quoique je doive souvent parler ici de figures et de
nombres,
parce qu'on ne peut demander à aucune science des exemples aussi
évidents et
certains, quiconque considérera attentivement ma pensée s'apercevra
facilement,
que je ne songe nullement ici aux mathématiques ordinaires, mais que
j'expose
une autre science, dont elles sont l'enveloppe plus que les parties.
Cette
science doit en effet contenir les premiers rudiments de la raison
humaine et
n'avoir qu'à se développer pour faire sortir des vérités de quelque
sujet que
ce soit; et, pour parler librement, je suis convaincu qu'elle est
préférable
à toute autre
connaissance que nous
aient enseignées les hommes, puisqu'elle en est la source." (3) H. Primas, professeur de
physico-chimie à l'école polytechnique de Zurich dit dans une
conférence au
sujet des présupposés ou préjugés dans les sciences naturelles: "Das Ganze ist nicht nur
mehr als die Summe von Teilen und ihren Wechselwirkungen, sondern die
materielle Realität ist ein Ganzes, das überhaupt nicht aus Teilen
aufgebaut
ist. ... Quarks, Elektronen, Atome oder Moleküle sind
nicht Ge-fundenes sondern
Er-fundenes, d.h. Konstruktionen derer, welche die materielle Realität
erforschen. ... Kein mit der Quantentheorie wirklich vertrauter
Naturwissenschaftler wird heute noch vom "Aufbau der Materie aus
elementaren Bausteinen" oder von "Reduktion chemischer oder
biologischer Phänomene auf physikalische Grundgesetze" sprechen. Was
heute
aktuell ist, sind intertheoretische Beziehungen und systemtheoretische
Beschreibungen komplexer Phänomene ..." (4) Comparer la citation du
physicien B. Nicolescu de la
note 6, chapitre . (5) H. Primas, voir note 3
ci-dessus. (6) D.
Bohm/F.D. Peat, "Das neue Weltbild", citation
traduite, p.
193. (7) F. Capra, "Le temps du
changement", p. 80. (8) Citation de G. Chew par B.
Nicolescu dans "Nous, la
particule et le monde", p. 41.. (9) F. Jacob, "La logique du
vivant", voir dernier chapitre: "L'intégron". (10) Citation de Heisenberg par
B. Nicolescu,
"Nous,
la particule et le monde", p. 42. (11) S. Lupasco définit son principe
dans: "Le principe d'antagonisme et la logique de l'énergie", p.
9: "Nous allons lier, l'une
à l'autre, l'affirmation et la négation, l'identité et la non-identité,
en
énonçant le postulat suivant: - A tout phénomène ou élément ou
événement
logique quelconque, et donc au jugement qui le pense, à la proposition
qui
l'exprime, au signe qui le symbolise: e, par exemple, doit toujours
être
associé, structuralement et fonctionnellement, un anti-phénomène ou
anti-élément ou anti-événement logique, et donc un jugement, une
proposition,
un signe contradictoire: non-e ou
e; et
de telle sorte que e ou e
ne peut jamais
qu'être potentialisé par l'actualisation de
e ou e, mais non pas disparaître, afin que soit e soit e puisse se suffire
à lui-même dans
une indépendance et donc une non-contradiction rigoureuse - comme dans
toute
logique, classique ou autre, qui se fonde sur l'absoluité du principe
de
non-contradiction." (12) J. Piaget, "L'épistémologie
génétique", p. 71 et suivantes. (13) F. Varela, "Connaître les
sciences cognitives". (14) F. Capra, "Le temps du
changement", p. 83. (15) K. Wilber, "Les trois yeux de
la connaissance", chapitre premier. Le bref résumé donné ici se compose
des expressions les plus importantes utilisées par Wilber pour décrire
les
trois niveaux. (16) ibid., p. 187. |