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Les méditations métaphysiques de Descarte 

L'esprit de Descartes

René Descartes a marqué par son Discours de la méthode la transition entre la Renaissance et les temps. L'esprit de Descartes est méconnu, le plus souvent confondu avec celui des positivistes  matérialistes de l'époque moderne qui se sont arrogé le titre de "cartésiens". Ils ont interprété les méditations métaphysiques de Descartes dans le sens du dualisme radical entre physique et métaphysique, n'admettant comme valide que l'objectivité empirique.

En réalité, René Descartes était encore un de ces savants de la Renaissance qui ne faisaient pas de différence entre la philosophie et la science, qu’ils considéraient comme un art. Sa pensée, qui se veut émancipée des doctrines dominantes est néanmoins nettement en accord avec les conceptions platoniciennes de la connaissance.

Le bon sens selon Descartes

Le premier principe que Descartes affirme dans la première phrase de son Discours de la méthode, c’est le bon sens :

Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée, … la puissance de bien juger et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses . 

Le doute et l'évidence première

Par conséquent, nous pouvons connaître la vérité par la recherche personnelle de l'évidence, par notre seul jugement, en remettant en question le savoir reçu. Il commence dans les principes de la philosophie par affirmer que

Pour examiner la vérité, il est besoin une fois en sa vie, de mettre toute chose en doute autant qu'il se peut. [Or] on ne saurait douter sans être, cela est la première connaissance certaine qu'on peut acquérir.

D'où sa fameuse affirmation;

" Je pense donc je suis ".

La preuve de Dieu et la trilogie néoplatonicienne

A la suite de cette évidence première fondée sur le bon sens, Descartes fait la distinction entre le corps qui a une dimension mesurable et la pensée qui échappe à toute mesure. En généralisant, il distingue la réalité étendue, mesurable dans l'espace et le temps (res extensa) et la réalité pensante (res cogitans)

En plus, Descartes voit la preuve de Dieu dans la nécessaire origine et cause de son existence, celle de ses idées, (res cogitans) et celle de son corps (res extensa), une cause qu'il conçoit comme permanente, présente à tout instant. Leur existence est fondée sur une substance dans le sens philosophique du terme et cette substance est Dieu.

La métaphysique de Descartes n'est pas un dualisme corps-esprit ou physique-métaphysique mais une tri-unité matière-pensée-Dieu  analogue à la trilogie des hypostases néoplatoniciennes (êtres animés - Intellect - Un ; "Je pense donc je suis " ne signifie pas une séparation mais au contraire une unité des contraires issue d'un tiers inclus.

C’est intellectuellement seulement que Descartes distingue l’étude des choses mesurables, qu’il propose dans son Discours, et l’étude de la pensée qu’il expose dans les Méditations.

La méthode, étude de la réalité physique

Il propose dans le Discours de la Méthode une manière analytique de procéder sans prétendre que ce soit la seule voie possible :

Ainsi mon dessein n’est pas d’enseigner ici la méthode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison, mais seulement de faire voir en quelle sorte j’ai tâché de conduire la mienne. ... Mais, ne proposant cet écrit que comme une histoire, ou, si vous l’aimez mieux, que comme une fable, en laquelle, parmi quelques exemples qu’on peut imiter, on en trouvera peut-être aussi plusieurs autres qu’on aura raison de ne pas suivre, j’espère qu’il sera utile à quelques-uns, sans être nuisible à personne, et que tous me sauront gré de ma franchise.

Il  procédait selon trois principes établir des jugements évidents, diviser les difficultés en parties, puis reconstruire par la pensée l’organisation des parties dans l’ensemble complexe.

Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle c’est-à-dire, d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention ; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute.

 Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinerais, en autant de parcelles qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour les mieux résoudre. 

Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés ; et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres. Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.

Les Méditations, étude de la réalité des idées

Descartes était influencé par la pensée néoplatonicienne de la Renaissance et notamment par Nicolas de Cues. Selon cette tradition, il représentait la philosophie, par son arbre de la connaissance :

Ainsi toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale. 

On a souvent répété que toutes les sciences naturelles sont issues de la physique mais en oubliant que pour Descartes la physique, par ses principes logiques, est elle-même enracinée dans la métaphysique.

Dans une correspondance à la reine Christine de Suède, il écrivit::

L'esprit humain possède en effet je ne sais quoi de divin, où les premières semences de pensées utiles ont été jetées, en sorte que souvent, si négligées et étouffées qu'elles soient par les études contraires, elles produisent spontanément des fruits. Nous en avons la preuve dans les plus faciles des sciences, l'arithmétique et la géométrie. ... Quoique je doive souvent parler ici de figures et de nombres, parce qu'on ne peut demander à aucune science des exemples aussi évidents et certains, quiconque considérera attentivement ma pensée s'apercevra facilement, que je ne songe nullement ici aux mathématiques ordinaires, mais que j'expose une autre science, dont elles sont l'enveloppe plus que les parties. Cette science doit en effet contenir les premiers rudiments de la raison humaine et n'avoir qu'à se développer pour faire sortir des vérités de quelque sujet que ce soit; et, pour parler librement, je suis convaincu qu'elle est préférable à  toute autre connaissance que nous aient enseignées les hommes, puisqu'elle en est la source.

Cette citation prouve que Descartes avait l’intuition d’une structure cognitive innée. Ce ne sont ni des structures mesurables, ni des concepts définissables comme ceux des mathématiques, mais plutôt des principes préétablis, communs aux objets réels et à la faculté de connaissance, puisque celle-ci, de nature biologique, est issue du monde physique.

C’est dans cette optique des formes de connaissance innées qu’il convient de comprendre l’expression  "Je pense donc je suis ".  La dualité des choses mesurables et des choses pensées signifie pour Descartes la coïncidence des opposés, du sujet et de l’objet, selon la logique néoplatonicienne de Nicolas de Cues.


Postérité: Méprises et critiques injustifiées

Le dualisme radical selon lequel la métaphysique serait incompatible avec la physique ne doit pas être imputé à Descartes. Dans la logique aristotélicienne, le dualisme signifie que l’évidence de la vérité physique exclut les vérités métaphysiques. C’est ainsi que l’allemand Christian Wolff, inspiré par Leibniz et suivi par les positivistes se targuant du nom de "cartésiens", dénaturèrent la pensée de Descartes. Le cartésianisme ou positivisme scientifique de Laplace et Auguste Comte rejeta toute philosophie ou religion, tout en étant lui-même une idéologie.

On a accusé aussi Descartes d'avoir prôné par son discours et sa méthode la violence faite à la nature en proposant de "nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature", Cette remarque doit être comprise dans son contexte. Descartes dit avoir reconnu:

… qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie; et qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouiront sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie; car même l'esprit dépend si fort du tempérament et de la disposition des organes du corps, que, s'il est possibles de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusques ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le chercher.

Descartes proposait donc d'utiliser la méthode expérimentale comme une pratique artisanale pour mieux mettre les forces de la nature au service des hommes, surtout pour la santé dont dépend aussi l'esprit. Dans ce contexte, les propos "ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature", jetés en marge, apparaissent plutôt comme une modération de l'exigence beaucoup plus violente et arrogante de "torturer la nature pour lui arracher tous ses secrets" proférée par Sir Francis Bacon que Descartes admirait. Ce lord anglais, homme d'affaires, procureur et chancelier de la Reine d’Angleterre en même temps que philosophe, passe en effet pour être le véritable père de l’empirisme et du pragmatisme scientifique; et  c’est à la suite et à l'exemple de Francis Bacon que Descartes avait écrit le discours de la méthode.